LES ETATS UNIS D’AMERIQUES

800px-flag_of_the_united_statessvgLorsque cet article paraîtra, les élections présidentielles américaines auront données leur verdict et nous saurons qui de John McCain ou de Barack Obama dirigera la (encore) première puissance économique et militaire du monde.

Et il ne faut pas croire que l’un ou l’autre, c’est «bonnet blanc et blanc bonnet»…

On peut très légitimement nourrir une antipathie pour les USA symboles – ô combien – d’un impérialisme au service de leurs intérêts économiques et géo-stratégiques, du culte à outrance de l’argent-roi, de l’individualisme à tout crin, d’une conception de la société placée sous la coupe des « valeurs » religieuses les plus réactionnaires et moralistes… et de bien d’autres choses encore !

Cela ne doit pas nous empêcher de nous intéresser à leur système institutionnel que l’on pourrait définir comme une «ultra-décentralisation». Nous savons, en Euskal Herri et ailleurs, combien le centralisme à la française est fondamentalement anti-démocratique. La lecture de l’article qui suit devrait nous convaincre que l’atomisation des niveaux de décision ou de gestion n’est pas forcément un meilleur modèle.

USA : Le fédéralisme dans tous ses États…

Dimanche 28 septembre 2008 – Ronan Blaise

us_state_abbrev_mapComme on l’a déjà examiné dans les colonnes de ce webzine, c’est en Amérique – aux États-Unis – à la fin du XVIIIe siècle qu’a vu le jour la première fédération, le premier État fédéral des temps contemporains : les États-Unis d’Amérique, État fédéral pionnier, État fédéral remarquable entre tous.

Souvent décriés par certains – de ce côté-ci de l’Atlantique en tout cas – comme étant l’ «abomination de la désolation» centraliste, ces États-Unis sont en fait très probablement le pays le plus décentralisé (et le plus complexe…) du monde. En effet, les 50 différents États de l’Union n’ont certes pas le droit d’émettre leur propre monnaie, ou des passeports, ni de conduire une politique étrangère autonome ou de posséder une armée (toutes compétences «régaliennes» dévolues à l’État fédéral). Mais il n’en s’agit pas moins d’une fédération composée d’États ayant gardé un certain nombre de pouvoirs plus que substantiels.

United States…

Les États-Unis sont aujourd’hui une «Union fédérale» solide où – après les turbulences de la guerre d’indépendance (1776-1783), de la seconde guerre anglo-américaine (de 1812) et la cruelle «civil war» ou «guerre de sécession» (1861-1865) – existent néanmoins encore bien des mouvements sécessionnistes (au Vermont), dans le «Vieux Sud», au Texas, en Alaska, aux îles Hawaii, à Porto Rico, etc), même si leur audience politique reste – somme toute – relativement confidentielle…

Un État fédéral où – pour rendre plus évidente encore et plus «palpable» aux simples citoyens la séparation entre l’État fédéral et les États fédérés – on a alors eu recours, lors de la naissance de la fédération, à la création (en 1787) d’un «District autonome» : le «(federal) District of Columbia». Il s’agissait là d’un territoire «neutre» chargé d’abriter – en toute neutralité à l’égard des États fédérés – la capitale fédérale, ses institutions politiques (la Présidence de l’État fédéral, le Congrès), judiciaires (la Cour suprême), économiques (la «Réserve fédérale»), militaires (le Pentagone) ainsi que son administration «centrale».

On the road, again…

Mais, en fait de pays prétendument centralisé, les États-Unis sont un pays décentralisé à l’extrême. Un pays qui – par exemple – compte autant de modèles de permis de conduire et de codes de la route différents qu’il compte d’États. Mais où ceux-ci ont la bonté de reconnaître la validité des permis délivrés dans les autres États de l’Union…

Un pays où – dans certains États, comme l’Ohio, on peut passer au rouge… si on tourne à droite (alors que dans certains États, c’est formellement interdit). Un pays où, avant d’aller passer vos éventuelles prochaines vacances en Arizona, vous prendrez donc bien soin de réviser attentivement les sept exceptions locales à la règle du «right turn on red» énumérées dans le code de la route de cet État…

Les États-Unis : un pays sans permis de conduire «national» en tant que tel (ni carte d’identité, d’ailleurs…) où le seul moyen qu’a astucieusement trouvé l’État fédéral – pour essayer d’harmoniser dans toute l’Union les lois de limitation de la vitesse autorisée pour automobilistes – a été de conditionner l’octroi de ses «aides fédérales à l’entretien de la voirie» au strict respect de la norme fédérale décidée à Washington (soit – aujourd’hui – environ 105 km/h).

Dans le même esprit, rappelons qu’en 1866, l’État fédéral – alors soucieux de moderniser le pays – a promulgué une loi qui permet à chaque État de l’Union d’adopter le système métrique européen. Or, il convient de remarquer qu’aujourd’hui – presque 150 ans plus tard – on attend encore le premier État qui osera se jeter à l’eau… de l’harmonisation. Quant au pouvoir fédéral, il ne légifère pas sur le sujet, ne voulant pas perturber le consommateur. Du coup, c’est donc aux fournisseurs étrangers (qui crient au scandale de ces «mesures protectionnistes déguisées»…) de s’adapter, tant bien que mal, au marché américain…

Money, Money, Money…

Un pays où l’impôt fédéral sur le revenu (créé par le XVIe Amendement à la Constitution, adopté en 1913 à l’initiative de l’administration démocrate du président Woodrow Wilson) recouvre un taux étonnamment bas… mais où vous devrez également remplir une déclaration d’impôt sur le revenu pour l’État où vous résidez (comme c’est aujourd’hui le cas dans 49 des 50 État). Sans parler de votre impôt municipal à régler, ne serait-ce que pour financer un système scolaire public local souvent rigoureusement autonome.

Soit – au minimum – au moins trois déclarations d’impôts à faire chaque année ! Sans parler des impôts à payer… en fonction du lieu de travail ! Comme ces lois «scélérates» qui imposent, à l’heure, le salaire de tout travailleur «temporaire» dans un État. Comme par exemple ces taxes (et non pas seulement péages routiers) – que doivent, depuis peu, payer à la municipalité de New York City – les habitants des États voisins du New Jersey et du Connecticut qui – chaque jour – viennent y travailler, au cours de leurs quotidiennes «migrations pendulaires de travail».

Un pays où chaque État de l’Union peut ainsi librement décider de mettre en place sa propre fiscalité directe ou indirecte – sur la consommation (comme notre T.V.A.), sur les bénéfices ou l’implantation géographique des entreprises (comme notre Taxe professionnelle, par exemple), sur la pollution générée par les outils de travail (comme notre principe juridique «pollueur / payeur»), etc – pour, par exemple, faire face à d’éventuelles difficultés budgétaires.

Business is Business…

Un pays où – pour tout ce qui touche très spécifiquement au commerce du tabac ou de l’alcool – vous avez affaire à cinquante réglementations différentes (une par État…) avec taxes d’importation à payer (à l’État de provenance ; et ce, sans même rien payer à l’administration fédérale !) voire formulaires administratifs à remplir ! Sans parler des États (voire Comtés…) qui vivent aujourd’hui encore sous un régime de stricte prohibition, comme l’ensemble des États-Unis entre 1919 et 1933 !

Si bien que même les vendeurs de vin californiens n’arrivent, paradoxalement, pas toujours – aujourd’hui, dans leur propre pays (ce pays souvent décrit comme étant celui du «libre-échange» et du «laisser faire libéral»…) – à s’ouvrir un «marché intérieur» de l’Union, en fait vraiment bien loin d’être réalisé !

Les États-Unis : un pays où vous pouvez donc être poursuivi par la justice pour le «crime fédéral» de «contrebande» et de «non respect» de certaines frontières commerciales internes (mais invisibles…), dignes du bon vieux temps de nos oubliées «douanes intérieures» et autres «gabelles» d’Ancien régime !

Justices pour tous

Un pays où la peine de mort existe – ou pas – selon les États. Et où, quand elle y est inscrite dans la loi (soit pour 36 d’entre eux) s’y applique d’ailleurs souvent fort différemment selon les États : injection létale dans la quasi totalité d’entre eux à l’heure actuelle (mais avec la chaise électrique – voire le «gazage» – comme second recours proposé aux condamnés par certains États…).

Un pays où la police de chaque État (de chaque comté, de chaque municipalité, de chaque zone hors municipalité…) ne peut pas opérer hors de sa juridiction. Mais où traverser une «frontière» entre deux États après un délit non sanctionné par la Justice est un «crime fédéral» relevant alors de la compétence du très célèbre F.B.I., police fédérale de l’Union.

Un pays continent où tout truand qui se respecte est donc – comme en leurs temps Al Capone ou Bonnie et Clyde – recherché dans au moins une bonne vingtaine d’États différents : recherchés par une police fédérale qui n’a là d’équivalent dans le monde actuel qu’Interpol.

Et nous ne parlons là que des compétences clairement délimitées entre État fédéral et États fédérés. Car, pour le reste, la justice américaine – souvent solicitée sur ces questions – n’a jamais fini de trancher, au cas par cas, sur les pouvoirs respectifs de l’administration fédérale de Washington et celles des États fédérés. Soit le plein emploi garanti pour longtemps pour les cabinets d’avocats de tout le pays et de la capitale fédérale…

États-Unis ou État-Uni ?

Les USA sont une «Union fédérale» formée d’États et de citoyens, dimension citoyenne renforcée (en 1868) par l’adoption (vraiment effective depuis les années 1960, avec la politique de «déségrégation» alors entreprise par l’administration démocrate Kennedy-Johnson) du XIVe Amendement instituant une citoyenneté américaine commune aux Blancs et aux Noirs (alors qu’auparavant «être américain» n’était qu’une appelation culturelle et identitaire, mais sans aucun véritable statut légal).

Les États-Unis sont donc une fédération où les pouvoirs sont – selon les compétences concernées – partagés entre les autorités de Washington, les deux chambres du Congrès fédéral, les 50 différents États de l’Union, leurs législatures respectives, les autres pouvoirs locaux «autonomes», etc. La Cour suprême de Washington ayant la délicate mission (Cf. Arrêt «Marbury v. Madison», adopté par la Cour suprême en février 1803) d’arbitrer les éventuels conflits de compétence pouvant opposer l’État fédéral aux États fédérés.

Le bon fonctionnement de l’ « Union » est régi selon les stipulations de l’actuelle «Constitution des États-Unis d’Amérique» de septembre 1787. Et, depuis cette date, elle n’a subi là que 27 très légères modifications (les fameux “vingt-sept amendements”). En pratique, cette Constitution a néanmoins considérablement évoluée : ayant vu l’élargissement des droits civiques à des catégories de populations entières jusque là discriminées (noirs, femmes, autochtones amérindiens, etc), l’accroissement des pouvoirs de l’exécutif présidentiel (au détriment du Congrès) et l’extension des pouvoirs de l’Union (au détriment des États formant l’Union).

D’ailleurs une très sanglante guerre civile – la “Guerre de sécession” (1861-1865) -, des décisions très politiques de la Cour suprême (comme l’arrêt «Texas vs. White» de 1868-1869) ou l’adoption du XIVe Amendement (instituant là, véritablement, la citoyenneté de l’Union, également en 1868…) ont par la suite durablement sacralisé l’unité de la Nation.

Si bien qu’à la fin du XIXe siècle, on ne dit plus «the US ar» mais bien «the US is». Une évolution politique et sémantique essentielle, par la suite consacrée par la mise en place – au XXe siècle – des politiques fédérales d’interventionisme économique (Cf. «New Deal» rooseveltien des années 1930), d’extension des droits civiques et/ou de déségrégation raciale (Cf. politique de «New Society», poursuivie par l’administration démocrate KennedyJohnson, dans les années 1960).

Cinquantes élections présidentielles…

Dans un tel dispositif, l’élection du chef de l’État, tous les quatre ans, est l’occasion d’une grande célébration démocratique… qui ne rassemble guère plus de 50 à 65% des inscrits sur les listes électorales !

Des élections où s’affrontent régulièrement partisans de l’État minimal (républicains), soucieux d’éviter au pays qu’à force de politiques étatiques «solidaristes» en faveur des plus nécessiteux, il ne tombe dans les affres du «socialisme». Et partisans d’un «interventionisme étatique» des plus modéré (démocrates), surtout soucieux de mieux encadrer les excès du marché (et de lutter contre les injustices sociales les plus criantes).

Deux partis à côtés desquels on trouve aussi le petit mais pittoresque (car très américain) «Libertarian party», expression d’un courant individualiste typiquement américain prônant encore moins d’État que les républicains : Hostilité à l’impôt (voire à l’État fédéral…) sous absolument toutes ses formes et opposition stricte à tout contrôle de l’État sur le commerce (de l’alcool et du tabac, mais aussi des drogues douces, etc) ou à l’ingérence de tout pouvoir – quel qu’il soit – sur la sexualité des simples particuliers.

C’est dans un tel pays que se dérouleront, en novembre prochain, les prochaines élections présidentielles devant désigner – nous dit-on – le plus puissant chef d’État de la planète. Soit, en fait, cinquantes élections présidentielles différentes, une par État, chacun d’entre eux disposant de ses propres listes électorales, de ses propres modalités de vote, de ses propres machines de vote et de son propre système de «scrutateurs-observateurs» n’ayant aucun lien organique  avec l’administration fédérale. Ce qui n’est pas sans représenter un certain nombre d’inconvénients, surtout si on se remémore exactement ce qui s’est passé, lors des élections présidentielles de novembre 2000, dans l’État de Floride où le mauvais fonctionnement des machines à voter des seuls comtés de Miami Dade et de Palm Beach avait alors rendu possible l’élection – alors tant controversée – du Républicain Georges W. Bush à la Maison Blanche.

Une élection au «Suffrage universel indirect pondéré»…

Des élections présidentielles américaines où il ne faut donc tout de même pas oublier que le vainqueur final est désigné par un système de suffrage indirect, universel certes, mais pondéré en fonction du poids démographique des États et des majorités politiques qui s’y dégagent.

Un système de pondération inter-étatique où – via les «Grands Électeurs» – le caractère autonome des États fédérés (dont les plus petits sont – à l’évidence – politiquement sureprésentés…) trouve là une reconnaissance politique suprême, et pèse encore de tout son poids.

Des élections présidentielles dont on se souvient – qu’en 2000 – on n’avait pu proclamer le résultat final qu’à l’issue d’une bien longue procédure juridique (plus d’un mois…), arbitrairement tranchée par une décision très contestable de la Cour suprême en faveur d’un candidat à l’évidence pourtant très largement battu au seul suffrage universel (puisque ayant recueilli environ 500.000 voix de moins que son concurrent à l’échelle de l’Union…) mais majoritaire de très peu en terme de «Grands électeurs»…

Un pays qui – sans être nécessairement un modèle organisationnel – reste aujourd’hui le prototype historique et l’étape fondatrice de toute l’expérience fédéraliste de l’époque contemporaine. Et un pays dont le fonctionnement interne ainsi que les moeurs institutionnelles et politiques méritent, rien que pour cela, d’être très attentivement examinées.

L’auteur : Ronan Blaise a été Rédacteur en chef du très instructif webzine ‘Le Taurillon’: http://www.taurillon.org/?lang=fr, publication du “Mouvement des  Jeunes Européens – France”; il est aussi ancien membre du bureau national et des “Jeunes Européens – Rouen”

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