RAPPEL DES FAITS
Nous sommes dans la nuit du 5 au 6 juillet 1987, cela fait exacte- ment deux semaines que Maddi est morte ; le mouvement abertzale (patriotique basque) en deuil continue le combat comme l’aurait voulu la jeune militante. Il est 0 h 30 lorsque Ttittof Istèque, aber- tzale de Baigorri, âgé de vingt-sept ans, trouve la mort, déchiqueté par l’engin explosif qu’il transporte et qu’il s’apprête à déposer de- vant la perception d’Anglet. La déflagration, d’une violence inouïe, creuse un cratère à l’endroit où elle se produit. Un autre militant, Patrick Lembeye, est grièvement blessé lors de cet accident. Il reçoit les premiers soins sur place mais ce n’est qu’une demi-heure plus tard qu’il est conduit à l’hôpital par le SAMU, non sans avoir dû subir la curiosité morbide d’individus attirés par le bruit de l’explo- sion et qui, pour certains d’entre eux, se permettent d’insulter le blessé, tout en commentant l’événement avec la police. Dans la même nuit, deux autres explosions ont lieu. A Iholdy, le Trésor pu- blic et la mairie sont endommagés. A Cambo, une demi-heure après Iholdi, une charge explosive secoue les locaux de la perception, causant de sérieux dégâts au rez-de-chaussée du bâtiment. Ces actions sont revendiquées quelques heures plus tard par un communiqué de l’organisation Iparretarrak qui rend hommage à ses militant(e)s tombé(e)s dans le cadre de leur engagement :«[…] Lors de l’opération contre le bâtiment du Trésor public d’Angelu, notre camarade de lutte Christophe Istèque a été tué. Deux semaines après la mort provoquée de Maddi, Ipar Euskadi (le Pays basque nord) subit à nouveau un coup terrible. Nous, militant(e)s d’Iparretarrak, ressentons intensément toute la douleur provoquée par la disparition tragique de Christophe. Nous tenons aujourd’hui à saluer la mémoire de notre militant et à rendre hommage à son abnégation totale au service de la lutte pour que vive notre pays et notre peuple. »
TEMOIGNAGE
Il y a dix ans, le 21 juin 1997, pour le 10ème anniversaire des tragiques disparitions de Maddi Héguy et Kristof Istèque, un vibrant hommage était déjà organisé à Baigorri. Nous reproduisons ci- dessous la traduction française du témoignage lu en basque par Olerki, camarade de luttes des disparus et plus particulièrement ami musicien de Kristof.
Durant notre existence nous ne cessons de rechercher une signi- fication à notre être car rien ni personne en ce bas-monde ne peut nous l’expliquer, si ce n’est nous-même.
D’ailleurs nous est-il nécessaire d’être présent ici-même dix ans après ? Pourquoi sommes-nous donc venus ?
-Sommes-nous venus pour comprendre pourquoi ont-ils disparu ?
-Sommes-nous venus pour savoir comment ont-ils disparu ?
Nous nous sommes déplacés jusqu’ici pour regarder ici et maintenant l’avenir incertain depuis notre passé, pour ne pas oublier mais aussi pour renforcer le fondement de notre existence tout en nous apaisant afin qu’il continu de vivre chaque jour.
C’est pour cela que nous sommes ici. C’est pour cela qu’ils ont disparu.
C’est ce que je pense.
Bien souvent nous oublions que nous sommes des âmes en peine, car pour vivre debout cela réclame le plus profond des désirs.
S’il n’y avait pas de mort, qui pourrait aimer ?
Et sans amour, qui peut vivre ?
Et privé d’amour par-delà la mort, qui ?
Josean Artze
Voilà ce que se demande un poète alors qu’un autre lui répond :
Je crois que la métamorphose des êtres est infinie
Qu’un profond renouvellement nous restitue
Et qu’un mouvement nous entraîne perpétuellement d’existence en existence.
Xabier Lete
Retenons que ce que la chenille nomme la fin du monde, nous pouvons l’appeler papillon.
Parce que nous buvons à la vieille source
Nous buvons la nouvelle eau,
L’eau toujours renouvelée
De l’éternelle antique source.
Josean Artze
La force des symboles est plus puissante que celle du raisonnement. Nous nous rassemblons à Baigorri le premier jour de l’été. Le monde est gorgé de musique. Cependant, pour en capter les mélodies, les instruments de musique sont incontournables.
Musique, chants, peinture et bien d’autres encore, l’art n’est-il pas au travers du temps qui passe, par delà les mots, l’un des symboles de la vie ? Cet art qui nous fait supporter l’insupportable.
Qui donc en son être profond n’a déjà ne serait-ce qu’un instant au moins, ressenti la beauté et l’ineffable mystère de la vie grâce à l’art ?
Lorsque nous aurons tout oublié, ce qui restera sera le plus précieux de notre relation.
Pas de salut, pas d’adieu,
Tant que brille le soleil, TTittof, joues toujours avec nous !
Baigorri le 21 juin 1997