Tout ça pour ça !

Cette formule que j’ai choisie comme titre de ma présente réflexion, c’est certainement ce que pensent, sans toutefois l’exprimer ouvertement, nombre de personnes, au regard de ce qu’est devenu aujourd’hui le monde abertzale (je n’emploie plus le qualificatif de « mouvement » tant il m’apparait inadéquat…) du Pays Basque nord. Je pense en particulier à celles et ceux qui dans les décennies 1970/1980/1990 se sont durement confrontés à l’État français pour essayer d’inverser une situation qui allait conduire inéluctablement nos trois provinces sous tutelle parisienne à une disparition en tant qu’entité nationale, à savoir une orientation économique basée sur la prééminence du tourisme de masse, l’exil obligé des jeunes pour  espérer trouver un emploi, la lente agonie de la langue basque et la folklorisation des expressions culturelles dont elle est le vecteur essentiel, l’inexistence de toute institution en mesure de pouvoir décider même à minima sur place, la veulerie de la très grande majorité des élus locaux en relais fidèles et sans états d’âme de toutes ces politiques mortifères pour le Pays Basque nord.

J’ai fait partie de ces jeunes (et moins jeunes !) basques qui n’ont pas accepté ce destin qui n’avait rien d’inexorable mais tout d’une voie décidée à notre place et à notre détriment par un État-nation né – comme tous les autres d’ailleurs – de la violence,  de la mystification, de la tromperie, de la ruse, de la prétention à exister en écrasant tout ce qui ne correspond pas au roman national. Nous avons choisi une forme de lutte que nous savions tous dès le départ tout à fait inégale en moyens, face à l’une des plus grandes puissances économique et militaire du monde. Il n’y avait de notre part aucune présomption à imaginer faire plier cet État-nation par l’emploi de la violence politique. Ce n’était dans notre esprit qu’un moyen de réveiller des consciences anesthésiées, faire évoluer des mentalités de résignation, mettre en lumière la duplicité des potentats locaux valets de Paris, mais aussi soutenir des luttes sectorielles (pêche, agriculture, conflits sociaux…), freiner un tant soi peu des projets touristico-immobiliers démentiels, mettre la pression sur ceux qui s’imaginaient qu’ils allaient faire main basse sur le Pays Basque nord sans coup férir… 

C’est vrai… personne ne nous a demandé de faire ce que nous avons fait, ne nous a mandaté pour prendre les chemins de l’illégalité, pour choisir la confrontation violente ! C’est un choix que nous avons fait en conscience et connaissance de cause, individuellement ou en groupe selon les cas, le choix de l’illégalité pour combattre l’injustice, tout simplement parce que la légalité de ces temps-là piétinait effrontément la justice. La légalité d’aujourd’hui n’est sans doute pas beaucoup plus satisfaisante à bien des égards, mais celle de ces décennies dont je parle était bien plus insupportable encore à quiconque aimait le Pays Basque et voulait faire son possible pour le défendre contre ses prédateurs. Donc, c’est entendu, nous ne nous prévalons d’aucune légitimité particulière, pas plus hier qu’aujourd’hui, pour avoir décidé de sacrifier nos vies sociales, professionnelles, affectives, et pour certains d’entre nous nos vies tout court ou notre intégrité physique, pour un combat qui transcendait dans notre esprit toutes ces réalités de l’existence humaine. Loin de nous la moindre volonté de reconnaissance de nos concitoyens pour avoir fait ce que d’aucuns appelleraient le « sale  boulot », pas davantage de regrets liés aux conséquence de ce choix, mais, tout de même, en voyant aujourd’hui le calamiteux panorama abertzale de ces deux premières décennies des années 2000, on ne peut s’empêcher de penser… tout ça pour ça ! 

Communauté d’agglomération, mon amour !

Car, qu’est donc aujourd’hui le monde abertzale, celui qui se prétend de gauche en particulier, en Pays Basque nord. Une espèce de régionalisme gentillet et de bon aloi, sans la moindre once de réflexion en quelque domaine que ce soit, sans les prémices d’un début d’embryon de projet politique, une boutique, ou plutôt juste une vitrine, qui a pignon sur rue, incarné dans un parti étiquette dont l’occupation principale, si ce n’est quasi-unique, est de concourir dans les compétitions électorales et de réunir quelques maigres troupes dans des cénacles où ils s’imaginent éventuellement représenter quelque chose et avoir prise sur les réalités du Pays Basque nord. C’est dans ces cercles qu’ils emploient peut-être des mots comme « indépendance », « socialisme », « luttes », « gauche »… parce que dans la sphère publique, et particulièrement lors des périodes de pêches aux voix, il se gardent bien de mettre en avant ces concepts, si ce n’est même qu’ils s’efforcent à tout crin de les dissimuler sous le tapis ou derrière les tentures. Il se dit même que, pour les élections municipales de ce printemps 2020, une consigne – sans doute non écrite – venue d’un parti qui prend ses ordres outre-Bidasoa – recommande d’escamoter au maximum toute coloration abertzale… déjà pas flamboyante en temps ordinaires ! 

C’est que pour cette engeance-là en général et pour le parti étiquette en particulier, l’essentiel c’est d’engranger des suffrages pour se les attribuer sans scrupules à l’issue de la lice électorale, avec la prétention sans doute de « peser » davantage dans ce qui est maintenant leur horizon politique unique : la Communauté d’agglomération Pays Basque. Il se sentent si bien, au chaud, dans ce qui s’avère être pourtant, après un peu plus de trois ans d’existence, une invraisemblable ‘usine à gaz’ dans laquelle tous ceux qui étaient pourtant opposés à sa création se sentent finalement comme des poissons dans l’eau. Je ne renie pas ma position de l’époque, favorable malgré tout à la mise en place de ce minimum de minimum d’existence politico-juridique du Pays Basque nord, mais j’argumentais en évoquant la possibilité pour cette institution d’évoluer vers quelque chose d’autre plus efficient, du genre collectivité territoriale spécifique, elle même n’étant dans une perspective abertzale qu’une étape vers une autonomie réelle.

Mais comment pouvait-on imaginer un seul instant que ceux du parti-étiquette allaient être le fer de lance d’une revendication institutionnelle adaptée aux enjeux et aux nécessités du Pays Basque nord… alors qu’ils furent les tout premiers à abandonner en rase campagne la revendication d’une collectivité territoriale spécifique devant le « niet » méprisant et péremptoire de Paris et sa proposition – en fait son diktat en forme de « c’est à prendre ou à laisser » – de communauté d’agglomération ?!? Je garde le souvenir que quelques élus, pourtant peu soupçonnables de convictions abertzale, continuaient à se prononcer pour cette collectivité spécifique, alors que le parti-étiquette avait déjà embrayé en faveur de la communauté d’agglomération… Par conséquent, il n’est aucunement surprenant que les élus adhérents ou sympathisants du parti étiquette en soient devenus ses plus chauds laudateurs. Ils ont probablement le sentiment d’exister politiquement alors que ce ne sont que de très modestes supplétifs, ils s’imaginent « jouer dans la cour des grands », alors que ceux des autres tendances politiques qu’ils côtoient savent très bien qu’ils ne représentent à peu de choses près qu’eux-mêmes, ils pensent sans doute avoir une influence sur les orientations ou décisions alors que sans leur présence les choses se feraient exactement de la même manière… 

Ils se font même doubler – on ne saurait dire « sur leur gauche » ! – par le Président de cette Communauté d’agglomération Pays Basque qui déclarait récemment qu’une collectivité spécifique serait un outil institutionnel autrement plus efficient que l’actuelle communauté d’agglomération. Sans offenser sa réelle intelligence politique, on ne peut pas dire qu’il ait proclamé là une opinion des plus originale et fait une découverte majeure… Toutefois, c’est déjà en dire beaucoup plus que ses alliés de fait du ‘parti-étiquette’qui, eux, n’ont même pas exprimé de position de cet ordre et encore moins bataillé pour une évolution en ce sens… si ce n’est dans un ou autre programme électoral de ces municipales 2020, sans doute juste pour justifier l’étiquette et alors que le reste du temps ils n’en font nullement état ! Donc, au bout du compte, un centriste français qui formule un point de vue plus avancé que les étiquetés abertzale, devenus, il est vrai, ‘Communauté d’agglomérationnistes’ , voilà où nous en sommes rendus en 2020 ! Et pour le coup, on est, là-aussi, en droit de penser… tout ça pour ça !

‘Homéopathisation’ de l’abertzalisme

Malgré le panorama calamiteux de l’abertzalisme politique de gauche actuel en Pays Basque nord, il se trouvera néanmoins quelque chercheur en sciences sociales et politiques pour conclure hardiment que ce qu’il appelle sans barguigner « les abertzale » sont aujourd’hui mûrs pour constituer une alternative crédible pour la conduite des affaires publiques… en alliance avec des forces françaises « progressistes » ! Sauf que, dans cette configuration, les ‘étiquetés abertzale’ ne seront jamais que des faire-valoir du genre « gentils basquisants » des supplétifs plus que modestes pour une offre politique qui sera celle de partis succursalistes français, avec des perspectives françaises, des intérêts nationaux français, des références au cadre français, des visions franco-françaises, etc. Mais c’est là justement la configuration idéale pour les forces succursalistes françaises, leurs chefs de file et tous ceux des élus et autres qui se retrouvent aujourd’hui – et ils sont électoralement bien majoritaires – dans cette sphère socio-politique. Ils seront très satisfaits – sauf quelques rares spécimens ultra-jacobins sortant de temps à autre de la naphtaline – de côtoyer ces figurants abertzale… On le saurait à moins ! 

Cette alliance, que l’on ne peut plus vraiment qualifier de « contre-nature », est déjà une réalité dans les processus électoraux et les combinaisons auxquelles elles donnent lieu. Si on peut tout à fait l’admettre, par exemple dans des municipalités de petites et moyennes tailles où les sensibilités partisanes s’estompent naturellement pour travailler de concert pour l’intérêt commun, et où les enjeux sociétaux sont d’une moindre importance politique, cela devient autrement plus discutable dans le cas de villes importantes où le choix politique est plus crucial et acquiert une dimension plus grande. La tendance actuelle de ceux qui se découvrent ou redécouvrent quelque chose d’abertzale à l’occasion des joutes municipales, c’est d’impulser des « listes d’ouverture », avec des socialistes qui mettent un mouchoir par dessus leur jacobinisme naturel, des écologistes en rupture de ban ou incapables eux-aussi de proposer une offre particulière, des progressistes isolés car ne se retrouvant pas dans les orientations des partis de gauche français, quelques auto-proclamés « indépendants » éventuellement, mais aussi des centristes voire des gens catalogués à droite, du moment qu’ils sont perçus comme fréquentables. On retrouve de la sorte des  catalogués abertzale sur des listes de la gauche ou de la droite française, car visiblement les succursalistes politiques français aiment bien maintenant faire apparaître un chouïa de composante « basquisante », comme s’il était devenu « tendance » d’avoir son « bon abertzale de service ». 

Il y a cependant aussi, non pas de listes clairement abertzale – sauf très rares cas – mais des listes d' »inspiration abertzale », c’est-à-dire ouverte à d’autres sensibilités. Ouvertes oui… car vous comprenez bien qu’être abertzale cela veut dire être fermé aux autres… c’est en tous les cas ce que l’on pourrait conclure de cette façon de concevoir et présenter les choses. Oui mais, dans ces listes si ouvertes (à tous les vents !), on évite surtout de mettre en avant le qualificatif abertzale, parce-que voyez-vous bonnes gens, ce n’est pas vraiment « vendable » à l’échelle municipale, du moins le pensent-ils. Alors, non seulement on ne se revendique pas abertzale, mais plus encore on s’efforce de dissimuler à toute force ce qualificatif. Donc, on opte pour cette formule alambiquée  de « liste d’inspiration abertzale »… et cela apparaît, par les temps qui courent, bigrement hardi, pour ne pas dire sacrément osé ! Au final, et je reprends à mon compte la formulation d’un ami, ce qu’il ne faut pas hésiter à appeler « l’homéopathisation de l’abertzalisme », à force de dilution des idées (si tant est qu’il y en ait encore !), d’édulcoration du message, a atteint le summum – actuel – lors des élections municipales de ce printemps 2020. Dans de rares cas, néanmoins, ces listes présentées comme abertzale ou ‘d’inspiration abertzale’ sont le prolongement sur le terrain électoral d’un véritable travail de terrain tout au long de l’année. C’est assez inhabituel pour mériter que cela soit reconnu…

Ce phénomène de délitement accéléré de la question abertzale est – je persiste dans mon propos – inspiré et défendu (pas vraiment sur la place publique, tout de même…) par la composante du ‘parti-étiquette’ qui prend ses ordres en Pays Basque sud. Cela montre combien le ‘parti-étiquette’ abertzale du Pays Basque nord est aujourd’hui totalement sous emprise de ce secteur qui, défaite politique de ETA oblige, a opéré un virage à 180° par rapport à ses positions de naguère et se présente maintenant comme super-démocrate et hyper-adepte de la convivialité sociale et de la paix civile… On n’est évidemment pas obligé de les croire, tant leur parcours passé, celui du moins des prédécesseurs des têtes d’affiches actuelles, est celui d’esprits façonnés à la culture de l’intolérance, du totalitarisme de la pensée, de l’élimination de toute parole ou action ne s’inscrivant pas dans la ligne de l’orthodoxie. C’est dans le contexte de la défaite politique de ETA qu’il faut comprendre les mutations apparentes de ce monde-là qui hier disait et faisait dire « noir » à ses petits soldats et qui aujourd’hui fait dire « blanc » aux mêmes ou à ceux ayant été à leur école. Dans ce monde-là, en effet, on cultive la certitude d’avoir toujours raison contre tous les autres, de ne jamais douter des orientations élaborées en haut lieu, même – je le redis – dans le cas de virage à 180°. 

Et qui donc prête une oreille complaisante à cet univers sectaire, proclamant d’un côté, à l’adresse de ses adeptes inconditionnels les mots d’ordre d’indépendance, de socialisme, d’union souverainiste… et jouant par ailleurs la partition de l’ouverture aux autres tendances politiques, quitte à édulcorer les positions publiques et à se faire les champions de l’écoute, à donner dans le style « plus démocrate que moi, ça ne le fait pas » ? Oui, qui prête le flanc à cette mystification qui a atteint son apogée avec le cirque politico-médiatique du « processus de paix »… si ce ne sont les élus de premier rang de partis politiques français, mus sans doute par des considérations électoralistes à court terme et par l’illusion de laisser une (toute petite) trace dans l’histoire locale ? 

Des étiquetés abertzale qui se précipitent dans l’arène électorale en évitant toutefois au maximum d’apparaître comme tels, une dilution jusqu’à la forme homéopathique des aspirations qui font l’abertzalisme, des totalitaires de toujours qui s’évertuent à faire croire qu’ils sont devenus – par l’opération du Saint-Esprit sans doute ? – des démocrates patentés, des élus et tête de proue de partis politiques français qui leur déroulent sans vergogne le tapis rouge, des « gentils-mignons- tout-plein » qui donnent dans les actions ‘non violentes’ (qu’ils disent…) avec force communication et font quasiment figure de ce qu’il y a aujourd’hui de plus militant en Pays Basque nord… oui, là encore, devant ce paysage de désolation, de médiocrité, de délabrement des valeurs, d’imposture généralisée, on peut se dire, la tête entre les mains… tout ça pour ça !

 

 

Et pendant ce temps là…

Pendant que la gauche abertzale organisée (on peut se poser la question de la justesse de ces trois termes…) du Pays Basque nord est devenue ‘communauté d’agglomérationniste », pendant qu’elle est passée largement sous contrôle de la mouvance qui se voudrait seule officielle en Pays Basque sud, pendant que des listes d' »inspiration abertzale » ont fleuri ici et là, avec des programmes mirobolants dont on se demande bien de quel travail politique effectif et permanent ils sont le fruit, pendant que les secteurs politiques succursalistes français décernent des brevets de démocratie aux totalitaires, pendant tout ce temps -là – et il dure depuis longtemps, ce temps… – pendant tout ce temps donc, la situation dans nos trois provinces ne cesse d’empirer en bien des domaines.

Ainsi, de la folie furieuse de construction immobilière qui chaque jour un peu plus bétonne la partie côtière du Labourd où plus un seul mètre carré ne semble devoir échapper à la voracité des promoteurs. Ces requins qui avaient un petit peu rentré leurs dents au début des années 1990, en particulier avec la campagne d’actions menée par IK, sont à nouveau à la curée et rien, absolument rien, ne vient contrecarrer leur appétit… surtout pas le monde abertzale soi-disant organisé ! La frénésie de bétonnage se porte pour une bonne part sur de l’édification d’immeubles de standing et on comprendra donc aisément que cette offre ne s’adresse pas à l’immense majorité de la population locale. Qui dit immobilier de prestige dit résidents en adéquation, et par conséquent le développement exponentiel de la gentrification c’est-à-dire l’embourgeoisement de quartiers, de ville ou de territoires entiers par l’établissement de catégories sociales à hauts revenus. Ce ne sont plus majoritairement des retraités aisés comme par le passé, mais de « jeunes actifs » – comme on dit dans les ‘milieux branchés’ – des classes moyennes supérieures. Cette mutation accélérée du tissu social a pris ces dernières années un tour inouï sur la Côte Basque, et elle commence sérieusement à s’étendre vers le Labourd intérieur.

La construction effrénée d’édifices de standing et le prolongement ‘naturel’ qu’en constitue la gentrification, ont bien entendu entrainé la reprise cauchemardesque des phénomènes de spéculations immobilières et foncières. Avec les conséquences que nul ne saurait ignorer : des prix du foncier et du mètre carré bâti qui échappent sinon à l’entendement du moins aux possibilités financières de la plupart des locaux, des tarifs locatifs comparables à ceux des métropoles huppées de la Côte-d’Azur ou du rivage normand, des jeunes mais aussi moins jeunes qui ont toutes les peines du monde, pour ne pas dire la quasi impossibilité à se loger là ou ils sont nés et/ou ont du travail. Ainsi, beaucoup de ceux qui peuvent acheter ou louer aujourd’hui sur la Côte Basque et le Labourd intérieur viennent de l’extérieur du Pays Basque et cela accentue, chaque jour qui passe un peu plus, la gentrification et – il ne faut plus hésiter à employer le terme – le phénomène de substitution de population. Ah… là je vois les grands esprits se récrier, parler de tendances xénophobes pour ne pas dire plus, hurler au loup… mais, pour autant, quel mot faut-il employer pour définir un fait qui consiste à faire partir, par le biais de la disproportion des moyens économiques, une population locale et la remplacer plus ou moins insidieusement, par des personnes venues d’autres horizons – ce qui en soi n’est pas quelque chose de mauvais – et qui pour la plupart, et c’est là le coeur du problème, n’ont aucune intention de  s’adapter à une identité singulière basque.

La libre circulation des hommes (et femmes, s’entend) ne pouvant pas être remise en question, pas plus ici qu’ailleurs, quels sont les leviers possibles pour freiner la dissolution de l’entité basque dans un brassage humain fonctionnant sans règles ? On pourrait penser à une formule comme le statut de résident, mais outre le fait que la France à prétentions universalistes (fausses au demeurant) ne veut pas en entendre parler, du moins en territoire métropolitain, ce statut ne ferait que retarder des évolutions sociales/sociétales inéluctables. Le seul vrai moyen de protéger d’abord et renforcer ensuite l’entité basque serait de contraindre – j’emploie et assume le terme – les gens venant s’installer ici, sinon à apprendre la langue, au moins à accepter que celle-ci soit légalement privilégiée, par exemple en terme d’offre d’emplois, et soit reconnue comme vecteur de communication prioritaire dans l’administration, l’entreprise, l’espace public, etc. Discrimination inacceptable vociféreront certains ? Mais où est réellement l’inacceptable, si ce n’est dans le fait de programmer une mort assurée à la plus ancienne langue d’Europe occidentale, en ne la protégeant pas des conséquences de diverses politiques mis en oeuvre par un État-nation qui n’a pas tourné le dos aux préceptes uniformisateurs ayant présidé à son établissement ? 

Et sur cette question du devenir de la langue basque, ce ne sont pas les faux-semblants, les leurres et les numéros d’illusionnistes de Paris qui peuvent nous rassurer en quoi que ce soit, bien au contraire. Car, par un procédé tout ce qu’il y a de plus retors, l’État français a confié la gestion d’une politique linguistique à minima à une structure qui ne fait qu’assurer un statut de second rang à la langue originelle de notre pays. Et celle-ci remplit ô combien parfaitement son office en prétendant agir pour le développement d’un bilinguisme, là où il n’y a que l’habillage cosmétique d’une situation de diglossie, c’est-à-dire un état de fait où une langue dite « nationale » a un statut supérieur à une autre langue qualifiés en l’occurence de « régionale ». Nul ne peut prétendre qu’en Pays Basque nord il y ait une réalité de bilinguisme car si cela était la langue basque aurait exactement les mêmes droits et les mêmes moyens d’existence et de développement que la langue française… ce dont nous sommes bien entendu aux antipodes ! En outre la duplicité ou l’habileté manoeuvrière – c’est selon – de Paris et de ses satellites institutionnels a consisté dans le fait de mettre cet outil de pérennisation de la diglossie entre les mains de quelques opportunistes issus du monde abertzale et qui, de ce fait, ont pouvoir de jouer aux censeurs à l’endroit du monde linguistique basque. Du grand art, vraiment ! La France a depuis toujours excellé dans ce registre de la manipulation et de la mise en opposition de pans de la société, particulièrement dans un cadre de domination de type colonial.

Aussi, chez tous ceux qui se sont battus naguère pour arracher un statut reconnaissant et assurant l’enseignement immersif dans les Ikastola, chez tous ceux qui s’efforcent avec des moyens dérisoires et principalement le soutien populaire de développer l’apprentissage par les adultes de la langue basque, chez tous les créateurs et animateurs faisant vivre les expressions culturelles en langue basque, mais obligés pour obtenir quelques subsides de passer sous les Fourches Caudines de quelques bureaucrates venus du sérail étiqueté abertzale, on ne peut que conclure de manière plus que désabusée… tout ça pour ça !

 

 

Et maintenant, que fait-on ?

J’imagine bien que parmi les lecteurs qui m’auront accompagné jusqu’ici, certains estimeront que j’y suis allé une nouvelle fois très fort dans la philippique, que j’exagère la gravité de la situation, que je fais des procès d’intention injustifiés, que la polémique ne fait rien avancer, etc. Je ne nie pas que le ton que j’emploie soit rageur, que les termes employés soient peu amènes si ce n’est virulents, et même, de l’avis sans doute d’un certain nombre de lecteurs, outranciers. 

Je ne suis pas en train de me livrer à une forme d’autocritique, mais je peux comprendre le ressenti offensé de certains, du monde abertzale en particulier. Toutefois, j’assume totalement la teneur de mes écrits, celui que je commets aujourd’hui comme les précédents, et s’il y a une forme de rage dans mon écriture c’est bien qu’il y a de quoi être en colère en regard de ce qu’est devenu aujourd’hui la présence publique abertzale en Pays Basque nord. Il y aurait aussi bien à redire des évolutions de l’abertzalisme dit de gauche en Pays Basque sud, mais il appartient avant tout à ceux qui l’observent ou le vivent de là-bas d’en faire état. 

Au risque de paraître présomptueux (ceux qui me connaissent un tant soi peu savent que je n’ai pas ce travers, même si j’en ai bien d’autres !), je suis intimement convaincu qu’une certaine proportion d’abertzale partage une bonne partie de mes ressentis, de mes observations, de mes raisonnements… j’irai jusqu’à dire, de mes emportements ! Néanmoins bien peu sont ceux qui s’aventurent à émettre publiquement quelque critique et encore moins dénonciation que ce soit à l’endroit du monde abertzale de gauche tel qu’il apparaît de nos jours. Nombreux sont certainement ceux qui voient bien dans quelle dérive il continue à se perdre, dans quelle dénaturation il s’enfonce encore davantage, dans quel discrédit il a versé, dans quel vide sidéral de réflexions et de perspectives il est tombé. Mais il y a cet espèce « d’esprit de famille » qui annihile leur révolte, brise leurs velléités, et finalement leur fait baisser les bras et les fait retomber dans une expression de fatalité du genre : « on voit bien à quel niveau on est tombé, combien de couleuvres on est amené à avaler, mais ceux qui sont dans ce fonctionnement-là sont des abertzale  et on ne peut pas aller contre eux ». C’est là, à mon sens, une vision erronée qui fait se pérenniser un système destructeur, mais on peut comprendre aussi que « sauter le pas » soit extrêmement difficile pour qui à des rapports d’amitiés au sein du parti-étiquette ou de sa sphère d’influence.  

Je veux cependant croire que quelques uns de ces abertzale conscients et révoltés ont commencé à  se rencontrer, à discuter de la situation dans leur zone géographique ou plus globalement, peut-être même à s’engager dans des réflexions partagées, avec le souhait de sortir de l’apathie et du marasme actuel. Cela va bien sûr dans le bon sens et dénote une prise de conscience salutaire. Toutefois, cela ne peut pas en rester à ce stade et il faudra bien passer à une étape dans laquelle se fédèreront ces volontés aujourd’hui dispersées. Il sera nécessaire – et le plus tôt sera le mieux – que s’organise une première rencontre pour échanger, discuter, analyser ensemble les choses, voir ce qu’il est possible de commencer à (re)construire. Car l’enjeu est bien de remettre les choses en route, de reprendre la marche en avant, pour que dans un avenir pas trop lointain une offre politique abertzale de gauche, sérieuse mais fidèle à ses fondamentaux, ouverte sur les réalités du Pays Basque nord mais désireuse de proposer une alternative de progrès et de mieux-vivre pour tous les habitants, revienne sur le devant de la scène.

Pour que demain, on n’ait plus à se dire… tout ça pour ça !

 

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