O tempora ! O mores ! ou l’avancée des poulpes vers la re-connaissance (plusieurs sens…)

Il fut un temps  durant lequel, l’évolution et l’acclimatation de l’homme sur terre, nécessitèrent l’obligation de posséder un squelette solide, une circulation sanguine à sang chaud, et la capacité de respirer l’air ambiant.

Le but d’alors était de « conquérir les terre émergées, et de peupler la terre ».

De nos jour, localement, il semblerait que l’évolution tende vers d’autres objectifs.

Il n’est plus nécessaire de se répandre, mais simplement de s’étaler, pour occuper une place, d’où le fait que, la nécessité de posséder une colonne vertébrale, n’est peut être plus une réelle nécessité.

L’immobilisme est devenu un but, une religion.

Dans un monde qui ne peut pas changer, car il ne doit pas changer.

ps: merci aux gilets jaunes pour leur leçon de démocratie (sans double sens)

O tempora ! O mores !

Allande Socarros, 14 Octobre 2018, site web

Quels temps ! Quelles mœurs ! C’est la traduction en français de la locution latine que j’ai choisi pour titre de ce nouveau texte. Toutefois, rassurez vous… je n’ai aucune prétention à donner dans la sociologie, mais il est de ces thèmes que l’on a envie d’aborder, tant la société d’aujourd’hui incline à l’indignation, tant on a besoin d’écrire noir sur blanc le malaise que l’on ressent, tant on a envie de dire ce que l’on a sur le cœur… alors que la tendance très majoritaire est de rester coi, de ne surtout pas faire de vague, de jouer à l’autruche, de se fondre dans la masse inerte. Ces deux premières décennies du XXIe siècle rappellent d’autres époques où l’esprit critique a capitulé, au cours desquelles les « hommes bons » ont déserté la parole et se sont réfugiés – du moins le croyaient-ils – dans le silence… avec les conséquences que l’on sait. Il semblerait vraiment que l’espèce humaine ne retienne jamais bien longtemps le souvenir des errements du passé et que l’Histoire soit un éternel recommencement, une alternance jamais démentie entre barbarie et retour d’humanité.

Ce préambule un peu ronflant pour dire en fait que les temps actuels sont d’une dureté extrême et que nous n’en sommes peut-être encore qu’au début d’un cycle qui irait en empirant… Dureté en terme de modèle – le terme n’est pas vraiment judicieux – économique, avec une énième évolution du système capitaliste que certains ont baptisé « néolibéralisme », qui se manifeste par une financiarisation de l’économie, en d’autres termes une spéculation à tout-va, par une mondialisation qui en est l’instrument et le terrain de jeu, par le profit à court terme à destination des actionnaires de multinationales, par une hypertrophie du secteur financier, par une immoralité sans limite de toux ceux qui gravite dans ce monde… Dureté en terme de fonctionnement de la société, qui, dans sa très grande majorité, non seulement ne se retourne pas contre les responsables d’une situation économique et sociale génératrice de toujours plus d’injustices et de déséquilibres, mais au contraire dirige ses frustrations et ses rancœurs vers les boucs émissaires bien commodes qu’on lui désigne de manière plus ou moins explicite.

L’exemple le plus parlant aujourd’hui, dans le cadre de l’État français et plus largement dans l’espace européen, c’est celui que l’on  présente comme la « crise des migrants ». En fait de « migrants », qui est un terme que les pouvoirs ont inventé pour, en quelque sorte, séparer « le bon grain de l’ivraie », ces populations qui fuient la guerre, les persécutions ou la misère, sont tous des réfugiés contraints au déracinement, à l’exil. Nul ne quitte sa terre, son pays, sa famille, son environnement par plaisir, par appât du gain, et il n’y a que l’idéologie capitaliste pour vouloir faire croire à cette sinistre fable. Enfin si… il y en a qui sont partis de leurs contrées pour aller s’approprier d’autres terres, pour réduire des populations en esclavage, pour les mettre sous leur coupe dans leur propre pays ! Ce sont les colonisateurs, les maitres des États- coloniaux européens… ceux-là même qui aujourd’hui parlent de « migration sauvage » ou de « migration incontrôlée ». Or, ces réfugiés, dont des milliers perdent la vie en Méditerranée ou sont chassés comme du gibier dans les montagnes alpines ou encore abandonnés à leur triste sort, dans des conditions abominables, jusqu’à ce que l’on se décide à les rafler dans leurs campement d’infortune… ce sont ni plus ni moins que les retours de manivelle des politiques coloniales et néo-coloniales des États européens ! Ce sont les victimes des guerres engagées en terres lointaines par ces mêmes États pour protéger, hier comme aujourd’hui, leurs intérêts économiques et géostratégiques, aidés en cela par des régimes locaux croupions.

Conformisme et raidissement

Dureté extrême en matière économique et dureté des comportements humains se conjuguent en outre avec une intolérance devenu règle de vie, un conformisme à l’air mauvais du temps, un immobilisme devant les dangers qui se multiplient, une indifférence aux malheurs des autres, aux atrocités qui ensanglantent tant de parties du monde, mais aussi un désintéressement à l’action collective, une démission généralisé face aux coups de force des pouvoirs politiques et économiques, un renoncement à se battre contre l’injustice, contre l’inacceptable. Sur la question de l’intolérance, et pour rester dans le cadre français, des sketchs d’humoristes des années 1980 ou antérieures, ne passeraient certainement pas aujourd’hui la rampe des moyens de diffusion audiovisuels, bloqués par la bien-pensance ou l’autocensure voire la censure tout court, par ce que l’on appelle bien commodément « le politiquement correct », par la peur de déclencher des indignations catégorielles, si ce n’est même par la crainte de poursuites judiciaires. Dans les temps actuels, tout ce qui sort un tant soi peu des chemins balisés de la conformité sociale est banni ou, pour le moins, mal vu. De manière concomitante pourtant – et c’est là un paradoxe – la société s’est terriblement durcie, la vox populi est souvent en phase avec les schémas et les croyances les plus réactionnaires qui soient, surtout vis à vis de ce ou ceux qu’elle perçoit comme « étranger(s) » à ses valeurs, à son environnement, à ses habitudes de vie. La progression électorale de l’extrême droite, la parole raciste, xénophobe, homophobe qui se libère sans complexe sont des indicateurs de ce raidissement sociétal…

Dans les temps présents et dans le contexte délétère de phénomènes bien réels, manifestations de la folie des hommes, comme les attentats jihadistes, il est quasiment devenu impossible de s’élever et encore moins de lutter contre les atteintes répétées et gravissimes aux libertés individuelles et collectives, présentées comme nécessaires à la sécurité publique. Les pouvoirs politiques, qu’ils se classifient de droite ou de gauche, jouent sur du velours, en faisant adopter par des majorités législatives dociles, les lois les plus liberticides que l’on ait jamais connues, hormis périodes de guerre. Tout cela passe comme lettre à la poste, par la grâce d’une opinion publique anesthésiée par une propagande dissimulée sous des oripeaux d’informations, manipulée par de pseudo experts en questions de sécurité qui se bousculent sur les plateaux de télévision, par la cacophonie des réseaux sociaux où tout et son contraire – et surtout des mystifications – se diffuse, sans passer par le moindre filtre de vérification, de recoupement. L’immédiateté de l’information, la concurrence effrénée entres les médias s’y étant spécialisé, le tumulte permanent dans ce monde du « tout savoir, tout de suite » ont réduit à peau de chagrin l’analyse des faits, le démêlement entre le vrai et le faux, la mise en perspective, la réflexion, la question du doute…

Dans ce monde lourd de menaces et pollué par de mauvais sentiments, qui commence très sérieusement à ressembler à celui décrit par Georges Orwell dans son roman ‘1984’, l’individualisme à tout crin, la compétition exacerbée, le chacun pour soi sont devenus les attitudes sociétales très majoritaires. Les luttes sociales qui – faut-il le rappeler ? – ne sont jamais des actes vers lesquels on se tourne par caprice sont devenues un fait minoritaire, les appels à mobilisation ne rencontrent la plupart du temps qu’un faible écho ou en tous cas ne sont pas en mesure de faire changer la donne. La crainte d’être mal vu, par son patron, par sa hiérarchie, de mettre sa famille en difficulté, la peur de perdre son emploi, les affres du chômage, l’instillation dans les esprits que les postulants à sa place ne manqueraient pas… n’incitent guère à l’action revendicatrice, quand bien même elle serait de simple justice. La résignation, le profil bas, la démission ont le vent en poupe et poussent les sociétés occidentales vers les rivages les plus incertains et inquiétants.

Et pour ce qui est du Pays Basque (nord) ?

Le Pays Basque nord – je limite mon propos à celui-ci, parce que c’est la partie de notre pays que je connais le mieux – n’est évidemment pas immunisé contre ces phénomènes qui font le lit des régimes démagogiques, autocratiques, réactionnaires. Cependant, le fait d’avoir gardé, en partie tout au moins, une forte identité, un sentiment de particularisme, des expressions culturelles fortes et une langue encore vivante malgré un recul incessant en nombre de locuteurs permettent que la dérive sociale soit nettement moins perceptible qu’ailleurs. Le fait aussi que ce soit développé un mouvement abertzale qui est resté longtemps le fer de lance des évolutions progressistes a constitué un rempart aux conceptions réactionnaires et à leur diffusion dans le corps social. Oui mais, en ce qui concerne ce dernier point et comme le dit certaine publicité… ça c’était avant !

Avant que ce qui tient lieu de mouvement organisé au sein de la gauche abertzale ne verse dans le conformisme politique le plus classique et ne fonctionne quasiment plus que par les voies de la communication et les processus électoraux. Euskal Herria Bai, coalition hétéroclite d’éléments puisant leurs racines dans la réalité socio-politique du Pays Basque nord et de factions prenant leurs ordres au Pays Basque sud ne pouvait de toute façon se comporter que comme un mariage de  la carpe et du lapin. Si, en tant qu’abertzale, on peut naturellement concevoir dans un avenir à plus ou moins longue échéance un Pays Basque (ré)unifié, il n’en demeure pas moins que les réalités différentes, ici et à bas, nécessitent des approches et des stratégies politiques adaptées à des situations distinctes. Ce n’est pas être contre un « projet national » que de dire cela ; mais c’est considérer que des évolutions différentes et leur traduction en terme de stratégie politique, ne vont pas à l’encontre d’une aspiration commune.

Encore faudrait-il que stratégie politique il y ait ! Car là, du côté de cette gauche abertzale « officielle » en Pays Basque nord, c’est de l’ordre du vide sidéral. C’est si vrai que… même l’onglet « propositions » du site internet de EH Bai est inopérant (au 14/10/2018) ! Trêve de plaisanterie sur ce qui est sans doute un problème technique, mais il n’en demeure pas moins que selon des échos récents, la grande ambition actuelle de EH Bai soit d’élaborer un « projet de territoire » (sic!). Notons tout d’abord que EH Bai fait sienne, sans baragouiner, le vocable « tarte à la crème » et devenu très technocratique de « territoire ». Comme si parler de « Pays Basque » leur brulait la langue… Assurément, une force politique abertzale opérante devrait avancer ses pions et faire des propositions dans un contexte politique donné, en partant de la situation telle qu’elle se présente… mais en gardant toujours en perspective son projet politique d’émancipation de la tutelle de l’État-nation France, en orientant sa participation, ses prises de positions dans cette direction là. Mais pour cela, encore faudrait-il qu’il existe un projet politique réel et crédible, que des perspectives d’évolution à court, moyen et long termes aient été réfléchies, conceptualisées, mise en forme. Une définition à laquelle, d’évidence, ne répond pas le concept, non seulement fumeux, mais aussi dangereux en terme de dissolution dans la politique à la française, de « projet de territoire ».

La nature ayant, comme chacun sait, horreur du vide, l’espace politique revendicatif en Pays Basque nord – hors luttes catégorielles ou sectorielles – est depuis un certain temps déjà occupé par ceux que l’on peut qualifier de « mouvements alternatifs », amalgamant sensibilités écologistes, féministes, altermondialistes et conception d’action non-violente. Bref un joyeux galimatias qui, à défaut d’assises larges dans la société basque du nord, se manifeste au travers d’opérations ponctuelles très médiatisées, pour porter sur la place publique des propositions qui ne mangent pas de pain. Le problème de ce type de mouvement qui est, du fait de l’impéritie de la gauche abertzale dite organisée, le seul à globaliser les données de situations, c’est qu’il aurait prétention à apporter à toute problématique la seule réponse qui vaille à ses yeux, à savoir l’action qualifiée de non-violente. Et là, il y a pour le moins maldonne, si ce n’est escroquerie rhétorique. Car la non-violence lorsqu’on l’évoque pour une action revendicatrice ou dénonciatrice, j’avoue ne pas savoir ce que c’est exactement. Pour prendre un exemple, si on bloque une route ou une rue, est-ce vraiment de la non-violence ? Du point de vue de ceux qui se retrouvent bloqués, il leur sera difficile de l’admettre. Idem si l’on occupe un local ou que l’on empêche une activité de se dérouler. À dire vrai, l’un des seules actions de non-violence, définissable ainsi vis à vis d’autrui, c’est la grève de la faim. Mais il s’agit en revanche d’une violence que l’on s’inflige.

Il va sans dire – mais mieux vaut en le disant – que j’adhère pleinement au souhait de résoudre les conflits par la discussion, par la négociation, et que partant de là, ce que l’on appelle la « non-violence » ne me rebute pas, philosophiquement parlant. Mais c’est le fait qu’elle soit  devenue le lieu commun, le type même de la formule creuse du discours politique actuel dans ce monde « alternatif » qui véritablement m’horripile. À écouter ces Gandhi de circonstance ce serait LA solution pour régler toutes les situations de confrontations… sauf que c’est évidemment tout à fait illusoire. En effet, l’action dite non-violente nécessite, pour avoir quelque chance de réussir, une condition sine qua non, à savoir une très large adhésion au sein d’une communauté donnée et, corrélativement, une participation massive en continue et sur le long terme. Or, ce sont là des éléments que l’on ne rencontre que dans fort peu de cas et pour ce qui est du Pays Basque nord, on ne peut pas vraiment dire qu’il en soit ainsi.

Reconstruire un mouvement politique abertzale de gauche

Je conçois que ceux qui me font l’amitié de me lire – je ne parle pas de ceux qui se forcent à le faire pour savoir ce que je vais encore débiter comme méchancetés ! – puissent être un peu lassés de me voir seriner les mêmes constats, réitérer les mêmes diagnostics, ressasser les mêmes lamentations… Il va de soi que j’aimerai bien n’avoir pas – ou plus – de motifs à agir ainsi, mais je suis persuadé que rester dans le déni, s’enfermer dans le silence, baisser les bras et se dire qu’il n’y a rien à faire pour changer le cours des événements, maugréer seul dans son coin en en petite compagnie et en rester là, sont des attitudes pires encore. Je ne jette la pierre à personne ; je sais qu’il est difficile de se positionner contre un mouvement que l’on a pu accompagner un temps voire dans lequel on reste par défaut, ou que s’opposer à des gens que l’on côtoie, que l’on connait, avec certains desquels on peut avoir des liens d’amitiés relève du crève-cœur. Mais l’enjeu est énorme et va très au-delà de toutes ces considérations.

Il s’agit de remettre sur rail un mouvement abertzale de gauche qui porte un espoir d’avenir meilleur pour le Pays Basque nord, qui fasse avancer un projet politique amenant une réponse globale à la problématique politique de ce pays, qui travaille dans le quotidien, qui se montre exemplaire dans ses actes et dans ses réalisations, qui soit prêt un jour à prendre, par la confiance que lui accorderait une majorité de la population, les rênes d’une institution efficiente, à savoir une autonomie véritable, dotée du droit à l’autodétermination, et insérée dans un ensemble européen fédéral. Au jour d’aujourd’hui, nous sommes très loin de cette configuration, tant la « vitrine officielle » de la gauche abertzale en Pays Basque nord fait figure de coquille vide, affirmant juste une présence par les moyens de communications et les élections et le raccrochement à des luttes sectorielles, dans les domaines agricoles, fonciers ou le terrain social – alors que le rôle d’un mouvement politique est de globaliser les problématiques et d’y apporter des réponses politiques.

Le temps n’est pas – n’est plus – aux atermoiements, à la résignation, à l’attentisme, aux sentences du genre : « ce qui existe, c’est mieux que rien », et encore moins à la croyance que l’on peut changer les choses de l’intérieur, aux vertus pratiquement toujours démenties de l’entrisme. Peut-être est-ce regrettable de devoir tirer ce constat, mais l’évidence s’impose qu’il faut essayer sans plus tarder de mettre en place autre chose, de regrouper des volontés et des compétences, de (re)commencer à réfléchir et à travailler ensemble, de manière la plus démocratique et efficace possible, sur tout ce qui concerne la situation en Pays Basque nord, dans l’ensemble basque et au delà. Je n’ai pas de méthode clé en main pour dire comment il faudrait faire cela ; peut-être serait-il opportun de formuler un appel à se rencontrer, à échanger, à réfléchir à la manière de franchir le pas ? Le malaise – ou le mal-être – dans le monde de la gauche abertzale en Pays Basque nord est bien perceptible, n’en déplaise à ceux qui, vivant principalement en vase clos et gérant une sorte de fond de commerce de « l’abertzalisme raisonné », continuent à nous la jouer « tout va très bien, Madame la Marquise ». Néanmoins, il faut aller au delà du diagnostic et poser des actes forts. À commencer par secouer l’apathie et se décider à prendre les choses en main, pour redonner une perspective politique et un rôle d’acteur essentiel au mouvement abertzale de gauche en Iparralde. Pour ma part, au delà de mes écrits, je suis tout à fait disposé à prendre ma part dans ce sursaut nécessaire et dans cette démarche à engager. Parce qu’il n’est que temps d’évoluer vers d’autres mœurs !

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