La lutte par procuration

Nous y voilà… ou en tout cas c’est imminent ! Cette fois-ci on va voir ce qu’on va voir… Le Pays Basque nord va devenir le chemin de croix du capitalisme mondialiste ou ce sera tout comme ! La révolution établira son quartier général quelque part entre Urrugne et Irun et les Versaillais réunis à Biarritz en tremblent déjà d’effroi… Comment ? Ignoreriez-vous que la crème de la crème des militants anti G7 a décidé de contrecarrer la réunion des dirigeants des 7 pays – disons plutôt États-nations – les plus riches dans la cité de l’impératrice, du 24 au 26 août de l’an de grâce 2019 ?

Des graffitis dénonçant ce rendez-vous des maitres du monde ont fleuri tous ces derniers mois sur des murs de nos trois provinces du nord et à lire « G7 EZ! » on pourrait penser que ce sont des abertzale qui sont à la manoeuvre. Pour ce qui est de peindre ce slogan… peut-être. Mais en ce qui concerne la réalisation pratique de ce mot d’ordre, on ne peut qu’être sceptique quand à la faculté de mobiliser du monde… surtout en période estivale !

Période estivale – et plus particulièrement l’activité touristique qui y est liée –  dont semble fort se préoccuper Euskal Herria Bai (EHBai) au détour d’une phrase de son communiqué publié le 13 juin dernier. En effet, juste après avoir dénoncé les « valeurs immorales » portées par le G7 et « les restrictions de libertés » entrainées par l’organisation de ce sommet, EHBai… s’inquiète de l’impact pour l’activité touristique, en ces termes: « Par conséquent, on peut présager d’une saison touristique en demi-teinte, fortement impactée. Dans le cas d’une baisse de fréquentation, qui indemnisera les différents acteurs locaux dont l’activité se développe à cette époque de l’année ? ». En voilà une sollicitude touchante pour un secteur qui, économiquement parlant, ne représente pour le Pays Basque nord que 6,2 % en terme de nombre d’établissements spécialement concernés et 6,6 % question nombre d’emplois (source : https://www.bayonne.cci.fr/fichiers/documents/livrables/Observatoire-Economique-du-Pays-Basque.pdf).

En revanche, pas la moindre mention, dans ce communiqué co-signé par 6 élus EHBai – il fallait faire « sérieux » sans doute ! -, des incidences sociales, sociétales, environnementales, etc., de cette activité longtemps priorisée par les sphères dirigeantes de l’État français et de ses satellites et qui, malgré les déclarations d’intention et les formules lénifiantes est très loin d’être un « tourisme intégré » ou « tourisme équitable » ou autres formules du même tonneau. Ah, elle est bien loin l’époque où les abertzale se battaient contre la « touristification » en organisant, entre autres actions, des « opérations escargots » sur les routes du Pays Basque nord ! Sans parler des interventions clandestines d’Iparretarrak… Aujourd’hui, un élu EHBai est chargé de la question du tourisme au sein de la Communauté d’Agglomération Pays Basque et ses collègues de parti s’inquiètent… de l’incidence de la réunion du G7 sur la fréquentation touristique !!! Autres temps, autres moeurs ? Disons plutôt prétention à vouloir « jouer dans la cour des grands », tout en ne représentant politiquement que bien peu de chose…

Sans même prêter trop d’importance à l’apparent changement de paradigme qui s’exprime au travers de ce communiqué de presse, l’inconsistance politique d’un mouvement prétendument organisé tel que  EHBai ne donne guère prise au doute : s’il y a mobilisation militante importante contre le G7 et ce qu’il représente, ce ne sera pas le fait des abertzale de gauche du Pays Basque nord, pas en tous cas de ceux se reconnaissant dans l’étiquette EHBai. Car ce n’est qu’un étiquette qui apparait essentiellement lors des compétitions électorales. Le reste du temps, cette gauche abertzale actuelle qui tient lieu de représentant officiel de la sensibilité politique en question se borne à faire de la lutte par procuration.

J’entends par « lutte par procuration » le fait d’appeler à la mobilisation pour soutenir des luttes sectorielles, comme par exemple celle menée par le syndicat paysan ELB lors de l’affaire d’abattages massifs de canards d’élevage ou encore lorsque la fédération des Ikastola entend se battre pour obtenir des postes d’enseignants supplémentaires, quand ce n’est pas tout bonnement pour défendre la pérennité du système d’enseignement immersif. ll est certes évident, dans l’esprit d’un abertzale, de prendre part à ces batailles, mais là où le bât blesse, c’est dans le fait qu’une organisation politique soit « à la remorque » des mobilisations sectorielles. En effet, une organisation politique en état de fonctionnement devrait pouvoir mener par elle-même tout un ensemble d’actions, être en fer de lance de l’activité militante, et placer son engagement dans un cadre global, et non pas répondre à une problématique de manière isolée. La réponse politique, c’est le sens de la globalité, la mise en perspective vers une évolution générale. Or, il y a belle lurette que le monde abertzale de gauche en Pays Basque nord n’est plus en mesure de globaliser quelque action politique que ce soit. D’où sa seule présence dans la lutte par procuration…  

Ce sera sans doute le cas pour la dénonciation du G7 où, si grabuge il y a, on aura à le mettre sur le compte des spécialistes du genre, à savoir toute la mouvance autonome, black blocs, altermondialistes pas vraiment non-violents pour le coup, appelons comme on veut ces professionnels de la contestation multicartes et transposables partout où ils trouvent du grain à moudre. Si ces agités d’aujourd’hui qui seront éventuellement demain aux manettes du pouvoir – cela s’est déjà vu avec bien des anciens de Mai 68 ou les Maos de toutes les guerres perdues… – arrivent à s’approcher des palaces de la station balnéaire – ce qui serait fort étonnant vu l’énorme déploiement policier ! -, leurs exploits balayeront sans rémission les quelques manifestations plan-plan des abertzale version EHBai.  Reste à voir, bien sûr, ce qu’il en sera de ce contre-sommet et des actions qu’il entend conduire, mais entre le battage médiatique des tenants du G7 et l’opposition violente que s’efforceront de mettre en oeuvre les professionnels de la casse, il y a fort à parier que le message abertzale de gauche reste inaudible. 

 

Aux pays des bisounours…

Mais, au fait, quel pourrait bien être le message en question ? De quelle dynamique politique serait-il susceptible d’en constituer la manifestation ? On est bien en peine de répondre tant la vacuité est ce qui caractérise par les temps qui courent – et ils courent depuis fort longtemps ! – l’expression abertzale qu’on ne saurait certainement pas qualifier de lutte… Il ne faut pas se voiler la face : il semblerait qu’aujourd’hui le summum de l’action politique dans le monde abertzale – ou plutôt dans sa périphérie – se résume à décrocher des portraits du président français Macron et à les emporter avec soi… Quel exploit ! Et quelles formidables avancées pour les droits bafoués de la nation basque ou même seulement pour la cause environnementale dont se réclament les « décrocheurs »  ! Si ce n’était triste à en mourir, cela en serait risible.

Le concept fumeux de la lutte non-violente, porté par les activistes gentillets de Bizi a pris la place laissé béante par l’inaction de la gauche abertzale qui n’a d’officielle que le nom. Concept fumeux oui, car toute action, même symbolique, est une violence, fusse-t’elle des plus mesurée, contre l’ordre établi des choses. Cette notion « tarte à la crème » n’est rien d’autre qu’un cache misère de l’inexistence politique, en terme de militantisme et de projet, du monde abertzale de gauche en Pays Basque nord. On pourrait en dire de même d’un autre mot très en vogue chez les « gentils activistes », à savoir la « désobéissance civile ». Si elle peut se concevoir dans un processus de lutte comme celui pour la récupération des droits niés à un pays, elle exige une participation massive – majoritaire pour tout dire – des citoyens pour avoir quelque efficience. Et là… nous sommes par chez nous vraiment très loin du compte. Les actes de résistance, les diverses formes de lutte sont déjà, par le fait même, une désobéissance à une politique de négation d’un pays, de ses habitants et de leurs droits inaliénables, à des injustices de tous ordres, à une situation d’oppression violente ou larvée. Cette désobéissance là a existé en Pays Basque et ailleurs… avant que les gentils partisans de la « non-violence » ne s’accaparent du concept pour mieux le détourner de son sens. 

En dehors des « décrocheurs de Macron », l’exemple type des « grandes victoires militantes » para-abertzale, ce serait aussi quelque chose comme la « consultation citoyenne » pour décider de l’aménagement de la Place Patxa – en fait, Place du Trinquet Saint-André – et son inauguration par les ravis de la crèche de la municipalité de Bayonne, main dans la main avec les ex-agités du coin, dont le gourou est devenu maintenant le chouchou de J.R. qui le couve de ses yeux énamourés ! Là encore, un coup à hésiter entre se tordre de rire ou bien penser en son for intérieur : « tout ça pour en arriver à ça ! ». Mais puisque l’air du temps est celui du pays des bisounours, je vais hasarder une proposition audacieuse, voire quasi-révolutionnaire : pendant qu’ils en étaient à aménager la « Place Patxa », n’aurait-il pas été judicieux d’y implanter la « fumeuse » Sculpture de la Paix dénommée « La Vérité de l’arbre » (sic !) qui rouille en ce moment du coté d’une zone industrielle au nord de Bayonne ? Ah oui, mais pas tout de suite, car il y a comme un air d’élections municipales qui se profilent pour le printemps 2020, avec des adversaires politiques de la majorité actuelle qui ne demanderaient pas mieux que de remettre ce sujet de discorde sur la table… Si ETA a, parait-il, décidé de proclamer la paix – défaite politique oblige – la hache de guerre ne vas pas tarder à être déterrée en revanche pour espérer prendre  – ou garder – les manettes de cette grande maison à la confluence de la Nive et de l’Adour.

 

… et de l’abertzalisme institutionnalisé 

Pour en revenir à la situation calamiteuse du monde abertzale (employer le vocable de « mouvement » est tout à fait erroné… car rien ou presque rien ne bouge !) des temps présents, le terme qui me vient à l’esprit est celui d’institutionnalisation. Avec pour seule activité politique la participation aux scrutins électoraux divers et l’obtention d’élus, la gauche abertzale d’aujourd’hui est devenue une composante co-gestionnaire – rarement gestionnaire à elle toute seule ou en terme majoritaire – des institutions participant de la République Une et Indivisible. Il est bien entendu que dans un processus de lutte pour la récupération des droits nationaux, c’est là une étape dont on ne peut faire l’économie, sauf à être dans une configuration insurrectionnelle… qui, dans le système des démocraties formelles, est peu envisageable ! Mais pour que cela reste une étape, encore faudrait-il qu’il y ait un chemin tracé pour aller vers un horizon politique différent… de préférence meilleur ! 

Or, de ce côté-là, c’est le néant, avec zéro projet politique de référence, l’inexistence d’une perspective globale qui donne un sens, une direction, une marche à suivre, des lignes directrices, même lorsqu’on agit à un niveau local comme la sphère municipale. Sans projet politique sérieux, pas évidemment non plus de stratégie politique déclinable à tous les échelons. Bref, c’est du chacun pour soi et « démerdez-vous, comme vous le pouvez ! »… on me passera l’expression ! De la sorte, il ne faut guère s’étonner que des abertzale de gauche élus prennent des chemins pour le moins divergents, quand ils ne sont pas tout bonnement inconciliables… alors que ces mêmes élus sont sinon membres du moins « sympathisants » du ‘parti étiquette’… On atteint ici les limites connues de l’extravagance !

Au final, le constat est simple et implacable : à partir du moment où il n’y a aucun travail suivi – a-t’il  même seulement été commencé ? – pour mettre en forme un projet politique ambitieux, complet, crédible, incluant la participation à chacune des étapes institutionnelles intermédiaires, ainsi que pour élaborer une stratégie politique s’inscrivant dans cette perspective… c’est la porte ouverte à tous les n’importe quoi, et aussi – surtout ? – à la compétition pour aller chercher les miettes de pouvoir que les composantes politiques françaises ont l’insigne bonté de nous laisser en pitance… 

 

Repartir de l’avant

Le corollaire de cet état des choses, c’est que dans le monde abertzale actuel du Pays Basque nord tout est en recomposition ou plus exactement en décomposition, avec des abertzale étiquetés de gauche qui sont largement satisfait de jouer les (très modestes) supplétifs à la majorité centriste-libérale de la Communauté d’agglomération Pays Basque constituée autour de Jean-René Etchegaray, avec des groupes locaux qui s’efforcent de batailler sur des thématiques locales, sans aucune ligne directrice globale qui leur permettrait d’inscrire leur action dans une stratégie d’ensemble cohérente et renforçante.  À ce rythme-là, les « abertzale institutionnalisés » vont finir par être le groupe organisé le plus important en termes numériques ! Triste réalité d’un désastre politique, d’un échec majeur, d’une déconfiture totale… dans laquelle nous qui avons un temps essayé de faire avancer les choses détenons, bien entendu, une part de responsabilité.

Je conçois parfaitement que mon analyse en forme de réquisitoire sans appel ne sera pas un déclic pour modifier la donne actuelle. Je n’ai d’ailleurs aucunement cette prétention… Comme avec mes précédentes contributions écrites, je m’efforce d’être un « sonneur d’alarme », susceptible peut-être, et avec le concours d’autres bonnes volontés, de secouer l’apathie ambiante, de bousculer l’inertie… ou juste de faire prendre conscience de la gravité de la situation. Je n’ai aucune espèce de « solution miracle »… pour autant que l’on puisse croire à cette chimère. La marche à suivre que je pourrai préconiser pour sortir de ce marasme – et à laquelle je suis prêt à prendre toute ma part – est on ne peut plus classique. Il me parait évident qu’il faut en revenir aux fondamentaux de l’action militante et commencer déjà par mettre les choses à plat, par établir un diagnostic de la situation présente du Pays Basque nord, sur l’ensemble des domaines.

Cette phase-là, doit pouvoir être concomitante avec une réorganisation de l’appareil politique, en d’autres termes avec la mise en place d’un mouvement opérationnel. Il faut pouvoir se rencontrer, discuter, échanger, intéresser les jeunes générations ayant la conscience abertzale à l’élaboration d’un projet politique et à porter celui-ci sur les différents terrains de lutte, mais sans doute commencer déjà par leur proposer une formation politique digne de ce nom. Élaborer un projet politique de la gauche abertzale ce serait, dans un premier temps, imaginer des réponses pratiques à court, moyen et long termes aux problèmes cruciaux dont nous avons à faire face aujourd’hui en Pays Basque nord. Cruciales ô combien que les problématiques comme ce qu’il ne faut plus hésiter à nommer « substitution de population » ou « colonisation de peuplement » qui plus que tout autre question est synonyme de danger mortel pour notre identité, comme la gentrification qui en est le corollaire et qui de la Côte basque migre de plus en plus vers l’intérieur, comme la surfréquentation touristique qui étouffe réellement la vie quotidienne de la population locale, comme les phénomènes de spéculations foncières et immobilières qui, de jour en jour davantage, pénalisent non seulement les jeunes qui voudraient se loger au pays mais aussi bien d’autres tranches de la population, comme la « désocialisation » continue de la pratique de l’euskara, c’est-à-dire le fait que son utilité dans la vie sociale ne soit aucunement un impératif, comme la pérennité de l’agriculture paysanne en butte aux critères productivistes, etc.

Le combat abertzale – parce que combat on nous impose par le fait d’un État-nation qui a tendance à se recroqueviller de plus en plus dans un nationalisme jacobin revivifié – est de nos jours à la croisée des chemins. Continuer comme toutes ces dernières années – décennies serait plus exact -, c’est abandonner le présent et le devenir du Pays Basque nord à des secteurs politiques qui ne conçoivent pas autre chose qu’une entité dotée de quelques particularismes bon enfant et qui, malgré l’obtention de certaines compétences de gestion très encadrées, sera très loin d’une forme d’auto-gouvernement en capacité de  pouvoir réellement décider conformément aux intérêts du pays … L’autre choix, c’est de repartir de l’avant, vers la réalisation d’un projet abertzale aux vertus duquel il faudra pouvoir convaincre une majorité de la population à adhérer. J’ose encore espérer que c’est ce choix-là qui s’imposera…

 

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