Pour un nouveau logiciel abertzale
Pour un nouveau logiciel abertzale
16 Décembre 2018
Rédigé par Allande Socarros et publié depuis Overblog
Le référendum au sujet de la « pleine souveraineté » et de « l’indépendance » de la Kanaky qui s’est déroulé le 4 novembre 2018 n’était pas, contrairement à ce qu’une kyrielle de spécialistes aussi ignorants que péremptoires affirmait, un référendum sur l’autodétermination… et cela du simple fait qu’un droit n’a à être soumis en aucune façon à quelque vote que ce soit ! Je ne vais pas reprendre ici les argumentations que j’ai déjà développé dans d’autres textes publiés sur ce blog, et auxquels les lecteurs pourront à loisir se reporter si cela les intéresse. Sur la question de l’autodétermination, toutefois, je ne saurai trop conseiller la lecture de la tribune libre publiée, le 6 novembre dernier, par mon ami Gaël Roblin sur le site http://www.bretagne-info.org et intitulée : « Kanaky, autodétermination ou co-détermination ? » : http://www.bretagne-info.org/2018/11/07/kanaky-autodetermination-ou-codetermination/. Je fais mienne la majeure partie de l’analyse exposée dans ce texte, même si je diverge sur certains points, à mes yeux importants.
Commençons par exprimer mon identité de vue avec Gaël lorsqu’il dit que, dans l’esprit du vote du 4 novembre, « La souveraineté de la Nouvelle Calédonie n’est pas l’indépendance de la Kanaky ». De prime abord, on pourrait penser que cette formulation relève de l’ergotage… mais ce n’est nullement le cas, tant la sémantique n’est jamais neutre ou imprécise, surtout après être passé au travers de l’examen des juristes de l’État-nation France ! Le fait de parler de « Nouvelle Calédonie » et non pas de « Kanaky » est bien évidemment une claire volonté exprimée par Paris de garder dans son giron cette lointaine terre coloniale, si importante pour ses intérêts sinon économiques du moins géostratégiques. En outre, employer le nom de « Kanaky », aurait consisté à reconnaitre de facto la nation kanak et donc, par voie de conséquence, le caractère colonial de la possession de sa terre. Toutefois, pouvait-on rationnellement imaginer que l’État français puisse employer un autre vocable que « Nouvelle Calédonie », sachant en outre – et l’article de Gaël Roblin est tout à fait précis à ce sujet -, que le corps électoral appelé à se positionner lors de ce référendum était composé non seulement des kanak, mais aussi des caldoches, soit les descendants des colons français. La composition de ce corps électoral et toutes les dispositions concernant le vote référendaire découlent des ‘Accords de Nouméa’ de 1988 (Gouvernement de Michel Rocard) prolongés par ceux dit ‘de Matignon’. Je ne rentrerai pas dans les détails de ces accords, facilement accessibles via internet à toute personne souhaitant approfondir ses connaissances en la matière, mais je dirai que j’abonde dans le sens de Gaël Roblin, lorsqu’il affirme que : « Ce vote – le référendum du 4 novembre NDR – est la résultante d’un compromis de co-détermination, entre une partie des nationalistes Kanak, défaits militairement et acceptant, à partir de 1988, par les Accords de Nouméa, de participer à la gestion d’une des trois provinces et du Congrès, qui composent ce que le pouvoir français présente comme la Nouvelle Calédonie. »
La pacification n’est pas la paix
Les dirigeants Kanak, ceux du FLNKS plus précisément, n’avaient probablement pas d’autres choix, dans le contexte de l’époque, que d’accepter de passer sous les fourches Caudines du pouvoir étatique français. Il n’est que de rappeler, sur uniquement les dernières décennies, les agressions armées des colons Caldoches et la brutalité de la répression française contre les révoltes des indépendantistes Kanak, à savoir le massacre de Hienghène du 5 décembre 1984, lors duquel des colons caldoches assassinèrent 10 membres de la tribu de Tiendanite, dont 2 frères du charismatique dirigeant Jean-Marie Tjibaou, ou encore l’exécution par le GIGN d’Éloi Machoro, leader de la branche militaire du FLNKS, le 12 janvier 1985, sans oublier la tuerie de la Grotte d’Ouvéa, le 5 mai 1988, où la soldatesque française (GIGN et Commando 11e choc) avait tué sans rémission 19 kanak, certains de balles tirées dans le dos ou achevés à coups de botte… Est-il utile de préciser que tous ces faits sanglants n’ont eu quasiment aucune incidence judiciaire pour leurs auteurs ? On sait combien l’institution judiciaire française peut être bonne fille à l’endroit d’exécutants des basses oeuvres étatiques…
Donc, les ‘Accords de Nouméa/Matignon’ sont le corollaire d’une situation de brutalité coloniale qui a conduit une partie majoritaire du FLNKS à entrer dans un processus de « pacification »… qui n’est qu’un ersatz de paix que le vainqueur impose au vaincu ! Ce même processus de pacification a été – comme le rappelle fort justement Gaël Roblin dans sa tribune libre – mis en oeuvre en Irlande du nord, à travers les ‘Accords du Vendredi Saint’ d’avril 1998. C’est une IRA provisoire, laminée par la féroce répression des forces armées britanniques et prise en main par les « réalistes » de son expression politique légale, le Sinn Féin, qui a « rendue les armes », en échange d’une participation à la cogestion politique de l’entité Irlande du nord avec les « unionistes » pro-Royaume Uni. Les électeurs nord-irlandais, y compris les descendants des colons britanniques avaient majoritairement approuvés, par référendum là encore, les ‘Accords du Vendredi Saint’, un résultat qui s’explique, pour une bonne part, par l’attitude d’une population fatiguée par des décennies d’un conflit sanglant (plus de 3500 morts, dont près de 2000 civils, entre 1968 et 1998) et faisant confiance au Sinn Féin pour parvenir un jour à une Irlande réunifiée. Sauf que, parmi les points de l’accord du Vendredi Saint, il y avait celui stipulant « l’abolition de la revendication territoriale de la République d’Irlande (l’Irlande du sud), par le biais de la modification des articles 2 et 3 de la Constitution de la République d’Irlande » ! On ne saurait être plus clair… Les négociateurs du Sinn Féin, ayant pris le contrôle politique de l’IRA provisoire, ont accepté sans trop se faire prier des dispositions consacrant le renoncement aux fondements mêmes de la lutte républicaine irlandaise.
Cette abdication en rase campagne n’est cependant pas passée comme lettre à la poste et, outre le fait que des factions de l’IRA ont poursuivie les actions armées, des voix se sont publiquement élevées pour donner une autre lecture de ces fameux accords du Vendredi Saint, encensés par les dirigeants des États-nations européens… et pris, dès leur annonce, comme exemple à suivre par la gauche abertzale qui se voudrait officielle. Ainsi, Anthony McIntyre, ancien membre de l’IRA ayant passé 18 années en prison, ne l’a pas envoyé dire, en parlant des deux négociateurs principaux du Sinn Féin : « Gerry Adams a toujours réfléchi en pensant à l’avenir du Sinn Féin et à sa carrière politique, jamais en pensant à l’avenir de l’IRA et du républicanisme irlandais ; quand à Martin McGuinness, je l’ai autrefois admiré, avant que lui aussi ne trahisse la cause pour poursuivre sa propre carrière (…) ». Et de conclure : « Aucun des deux objectifs du républicanisme n’a été atteint : la réunification de l’Irlande et le départ des militaires britanniques d’Irlande du nord. Nous avons été vendus à Londres ». (Article du quotidien ‘La Croix’ : « Comment le Sinn Féin a abandonné l’IRA » – Tristan de Bourbon – 24/01/2018). Toute ressemblance avec une situation connue ici en Pays Basque… ne serait bien évidemment pas fortuite. Comme ne l’était pas la présence de Gerry Adams à la mystification du 4 mai 2018 à Cambo, pompeusement baptisée ‘Conférence internationale pour une paix juste et durable en Pays Basque’… Point d’orgue du processus de pacification – et non de paix – orchestré par une organisation ETA en bout de course et ses hommes – et femmes – de main, rejoint par toute une cohorte de politiques opportunistes, membres des partis succursalistes français. L’union sacrée autour d’une partie de poker-menteur destinée à accorder à ETA une « sortie honorable » malgré sa défaite politique consommée.
Un abertzalisme d’accommodement
Que l’on me comprenne bien : mon propos n’est pas ici de regretter la fin de la lutte armée menée par ETA, mais bien d’insister sur le fait que, avec ce processus de (fausse) paix, ses promoteurs abertzale ont, en quelque sorte, « jeté le bébé avec l’eau du bain ». Ils sont dans le droit fil d’un ‘scénario à l’irlandaise’, c’est-à-dire dans un accommodement avec les États-nations espagnols et français… pour peu qu’on leur donne quelque os à ronger, en terme de pouvoirs ou plutôt d’illusion de pouvoir. Pour expliciter cette formule en terme d’objectifs institutionnels, la gauche abertzale autoproclamée « officielle » est aujourd’hui sur un registre « régionaliste », à savoir, pour la Communauté Autonome Basque au sud, la recherche d’un pacte avec le Parti Nationaliste Basque (PNV) pour une autonomie renouvelée, teinté d’une couche de « souverainisme », juste pour donner le change, et, pour le Pays Basque nord, l’élaboration d’un « projet de territoire », bien en phase avec les modestes ambitions de la Communauté d’Agglomération Pays Basque, dont le fonctionnement, depuis maintenant 2 ans, démontre combien elle s’apparente à une « usine à gaz ». Il faut bien convenir que, pour ce qui est du Pays Basque nord, les capacités de réflexions, d’initiatives et d’actions de terrain du « parti officiel » de la gauche abertzale atteignent déjà leurs limites avec cet objectif politique pour le moins étriqué…
De fait, les mots « autonomie » ou « indépendance » ne sont plus guère prononcés de nos jours, en Pays Basque nord, que dans les petits cénacles où se réunissent ces abertzale d’apparence. Dans cet entre-soi confortable, ils sont tous de fervents partisans d’un Pays Basque indépendant, réunifié et peut-être même socialiste… C’est juste que, quand ils sont à l’extérieur de leur pignon sur rue, leurs actes, leurs comportements sont l’exact contraire de leurs proclamations d’intérieur ! Aussi, la cause est entendue et depuis maintenant trop longtemps : il faudra faire sans eux et malgré eux. Il n’est pas, il n’est plus concevable que la situation politique et organisationnelle du monde abertzale de gauche en reste à cet état de léthargie mortifère. Il n’est plus compréhensible que bien des abertzale, de générations différentes, vous disent en bien des occasions qu’ils sont catastrophés par l’état actuel des choses, mais en restent pourtant à un attentisme résigné et bien commode. Il n’est plus temps de se dire que, par on ne sait trop quel mécanisme cyclique, la machine abertzale se remettra en marche. Il n’y a pas de fatalité comme il n’y a pas de recette miracle. Ainsi que je l’énonçais dans mon « brulot » précédent, il faudra bien briser cette logique du renoncement et se remettre à imaginer le meilleur pour le Pays Basque nord en se dotant des outils pour aller dans cette direction. À commencer par l’élaboration d’un projet politique de la gauche abertzale, réaliste tout en étant ambitieux, ne cédant rien sur les fondamentaux et les objectifs, mais sachant poser ses jalons au cours des différentes étapes politiques et institutionnelles.
Pour ce projet émancipateur à remettre à l’ordre du jour j’évoque la gauche abertzale qui est, à mon sens, la seule à pouvoir l’incarner et le porter, car pour ce qui est des abertzale centristes de EAJ/PNV, on peut considérer qu’ils restent fidèles à leur ligne de conduite « possibiliste » qui est celle de faire progresser leurs idées et renforcer leur audience dans le cadre du jeu politique français ici et espagnol là-bas. Au moins ne se départissent-ils pas d’une logique que je définirai « d’abertzalisme de gestion et de concertation » déclinée en relation sans rupture avec les forces politiques et les sphères dirigeantes des deux États de tutelle. Cela ne les empêche pas d’avoir de très bonnes initiatives politiques, très didactiques et ancrées dans les réalités du terrain, comme, par exemple, l’organisation des « Lema Eguna(k) », occasion de traiter de manière très approfondie de thématiques en prise avec l’agenda politico-institutionnel du Pays Basque nord. Est-il vraiment utile de préciser qu’à ces journées d’informations, d’explications, de discussions, aucun abertzale de gauche dûment étiqueté comme tel, en tous cas pas le moindre « responsable » ne daigne même faire acte de présence… Pensez… ils ne vont pas se compromettre avec des « adversaires de classe »… et puis ils maitrisent déjà si bien tous ces sujets ! L’ironie est dans doute facile, mais cette immaturité de la gauche abertzale « organisée » est véritablement consternante. En revanche, ceux-là même qui ne veulent surtout pas frayer avec la « droite abertzale » (qu’ils disent) n’ont aucun scrupule à coopérer avec les représentants et caciques des partis succursalistes français, par exemple au sein d’institutions comme la Communauté d’Agglomération Pays Basque. En somme, dans le registre des contorsions politiques, la gauche abertzale actuelle, dite organisée, n’éprouve aucun cas de conscience à jouer aux illusionnistes dans ce cirque de la communication.
Colonisation et substitution de populations
Pour en revenir aux questions soulevées par le référendum du 4 novembre 2018 en Kanaky, j’engage tout un chacun à lire la prise de position exprimée par l’avocat martiniquais Raphaël Constant que j’ai eu l’honneur et l’avantage de connaitre lorsqu’il défendait, avec d’autres confrères, les prisonniers politiques basques du nord, membres d’Iparretarrak. Je suis en phase avec la quasi totalité de cette analyse consultable via le lien http://www.montraykreyol.org/article/la-supercherie-de-la-consultation-du-4-novembre, mais, à la relecture, j’émets aujourd’hui une réserve concernant le droit de vote des caldoches, dans le cadre d’une consultation sur l’avenir politico-institutionnel de la Kanaky. À la fin de son billet, Raphaël Constant estime en effet que : « (…) Le seul exercice du droit des peuples consisterait à ne consulter que le peuple dominé, qui a été spolié, le peuple kanak (…) ». Je peux comprendre qu’au regard de l’histoire violente de la colonisation de la Kanaky on puisse défendre un tel point de vue, mais je crois cependant qu’il est tout bonnement impossible aujourd’hui de faire admettre ce principe dans les instances internationales. En outre, au risque de m’attirer les foudres des dogmatiques – pour partie, ceux-là mêmes qui aujourd’hui sont prêts à bien des compromissions avec les puissances tutélaires -, je ne vois pas comment on pourrait escamoter la composante de la population actuelle de Kanaky, descendants des colons ou s’étant établie sur l’archipel au fil du temps ? Nés sur cette terre que leurs ancêtres avaient certes conquise par la violence ou venues par le biais d’une colonisation de peuplement qui ne dit pas son nom, ils sont, de fait, des habitants de ce pays… que l’on ne peut pas exclure du débat sur l’avenir politique et institutionnel de la Kanaky !
Par ailleurs, et même si l’on parle de composantes très minoritaires dans un camp comme dans l’autre, je me démarque de l’équation mathématique : Kanak = pro-indépendance ; caldoches = anti-indépendance. C’est un peu plus complexe que cela et l’examen attentif des résultats de la consultation du 4 novembre amène déjà à constater qu’une part, certes très minoritaire, de non kanak a voté pour la perspective de l’indépendance. C’est là, à mon humble avis, une donnée prospective très importante à intégrer à un agenda et à une stratégie politique devant conduire à l’indépendance de la Kanaky. Une des clés qui permettra d’ouvrir la porte à cette perspective, c’est de convaincre une majorité d’habitants non kanak, favorables aujourd’hui au maintien dans le giron français – mais aussi, ne les oublions pas, les kanak non-indépendantistes – que l’indépendance, au delà d’une revendication légitime, c’est mieux que la situation actuelle. Ceci est naturellement vrai pour tout pays privé de ses droits nationaux par un État-nation l’ayant placé sous sa tutelle, donc pour le Pays Basque aussi. Chez nous également, même si le facteur colonial ne peut pas être allégué dans les mêmes termes qu’en Kanaky, Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion, la Polynésie et autres, une forme de colonisation de peuplement est à l’oeuvre depuis de très nombreuses années, par l’arrivée massive de populations allogènes. Pour un Pays Basque que sa longue histoire a façonné comme une terre d’accueil et d’intégration harmonieuse, ceci ne serait pas un problème, si les populations en question étaient animées de la volonté, si ce n’est d’adopter, à tout le moins de respecter notre identité, à commencer par notre langue et notre culture. Il faut bien admettre que nous sommes loin du compte et ce qui se joue de manière chaque jour plus cruciale – cela étant dit sans aucune connotation xénophobe – c’est véritablement un risque de dilution de notre Être basque, via un phénomène pernicieux de substitution de population. L’essence même de ce qui nous fait encore le peuple premier de l’Europe est en danger de disparition et ce n’est pas outrance d’affirmer cela.
L’indépendance : de la nécessité d’actualiser un concept
Au delà des mesures urgentes à mettre en place ou à renforcer pour soutenir notre langue, assurer son développement et rendre incontournable son utilité sociale, pour combattre le phénomène de spéculation immobilière effrénée et la gentrification qui en est à la fois la cause et la conséquence, pour renforcer et diversifier notre tissu économique productif, pour affermir notre agriculture paysanne, il n’y a qu’une institution d’autonomie véritable qui puisse réellement nous permettre de faire face avec efficience à ces enjeux primordiaux. Dans un texte précédent, j’ai essayé de formuler un concept d’autonomie réelle s’inscrivant dans un fédéralisme européen abouti : http://hitzapitz.over-blog.com/2017/12/pour-une-autonomie-reelle-dans-un-federalisme-abouti.html. Je ne vais pas me répéter ici et chacun pourra se reporter utilement au texte en question, si tel est son souhait. J’ajouterai cependant aux réflexions émises alors, le concept de « droit de retrait » qu’une entité en autonomie réelle devrait pouvoir, en tant que de besoin, exercer dans le cadre d’un fédéralisme abouti. Ce droit de retrait consisterait en une possibilité pour une entité d’autonomie de ne pas avoir à appliquer des décisions prises au niveau fédéral, soit la faculté d’exercer une souveraineté conservatoire. Ce droit ne se concevrait évidemment pas en perspective de récuser les libertés fondamentales qui caractérisent une démocratie, ni en remise en question des avancées sociétales et du progrès civilisationnel (abolition de la peine de mort, par exemple), pas plus que des conquêtes sociales. Il ne devrait consister qu’à faire acte de refus d’application d’une décision ou une possibilité d’y déroger, de ne pas participer à son application, et cela pour des raisons éthiques, morales, conceptuelles, comme, par exemple, la contribution à des opérations de guerre ou même seulement à la constitution de forces armées, ou bien encore l’établissement de relations diplomatiques avec des régimes non-démocratiques.
Le droit à l’autodétermination, le droit de retrait, une autonomie réelle, un fédéralisme abouti… ce sont là, de mon point de vue, les éléments constitutif d’une situation dans laquelle un pays, un peuple, une communauté peut librement faire ses choix et exercer ses droits fondamentaux, tout en étant intégré à un ensemble supra-national de coopération économique, d’harmonisation sociale par le haut, de solidarités renforcées, d’orientations politiques basées sur la priorité environnementale, la justice sociale, les relations équitables entre pays, le progrès humain, la démocratie la plus accomplie… Pour ne parler que de l’Europe occidentale, on en est certes très loin actuellement, avec cette Union européenne d’États-nations qui est une super-structure basée sur un marché commun, une monnaie unique pour une partie seulement des États membres, mais qui jamais n’a mis en place une législation sociale par le haut, une harmonisation fiscale juste, mais a tout au contraire favorisé le dumping commercial et social, la course au libéralisme à tout crin, le dérèglement du service public, la frénésie réglementaire produite par des eurocrates totalement hors sol, l’hypertrophie administrative et la gabegie généralisée. Toutefois, la colère des peuples devant un tel gâchis et l’émergence de forces politiques représentant réellement les intérêts collectifs de populations peut faire évoluer les choses plus vite qu’on ne saurait l’imaginer. L’Europe unie au sein d’une organisation fédérale aboutie est l’horizon vers lequel un Pays Basque réunifié et disposant des attributs de souveraineté fondamentaux doit tourner son regard.
L’indépendance nationale, telle que bien des mouvements d’émancipation ou de libération la conçoive et la formule encore de nos jours est un concept datant de la période des luttes anti-coloniales des décennies 1950/1960, pour ce qui est des références les plus récentes. La situation du monde a bien changé depuis lors et il est nécessaire « d’actualiser le logiciel » et d’adapter les principes au temps présent. L’interdépendance dans la plupart des domaines, la coopération nécessaire, la solidarité souhaitable commandent de concevoir des modèles de souveraineté, d’association entre nations et de constructions supra-étatiques adaptés aux réalités contemporaines et aux défis du futur. Ce n’est pas une abdication de ses droits nationaux, puisque aussi bien on disposerait des outils juridiques pour faire ses choix en connaissance de cause, mais c’est une conception de la souveraineté ajustée à ses besoins et intérêts fondamentaux et à la marche du monde moderne. J’en resterais là pour l’heure, car je n’ai pas prétention à imposer un point de vue sur un sujet ô combien sensible à l’esprit abertzale mais pour lequel également il n’est que temps de relancer la réflexion, le débat, la formulation d’idées… toutes choses depuis trop longtemps escamotées et paralysées. La réinitialisation du logiciel abertzale passe aussi par là…
Pour ce projet émancipateur à remettre à l’ordre du jour j’évoque la gauche abertzale qui est, à mon sens, la seule à pouvoir l’incarner et le porter, car pour ce qui est des abertzale centristes de EAJ/PNV, on peut considérer qu’ils restent fidèles à leur ligne de conduite « possibiliste » qui est celle de faire progresser leurs idées et renforcer leur audience dans le cadre du jeu politique français ici et espagnol là-bas. Au moins ne se départissent-ils pas d’une logique que je définirai « d’abertzalisme de gestion et de concertation » déclinée en relation sans rupture avec les forces politiques et les sphères dirigeantes des deux États de tutelle. Cela ne les empêche pas d’avoir de très bonnes initiatives politiques, très didactiques et ancrées dans les réalités du terrain, comme, par exemple, l’organisation des « Lema Eguna(k) », occasion de traiter de manière très approfondie de thématiques en prise avec l’agenda politico-institutionnel du Pays Basque nord. Est-il vraiment utile de préciser qu’à ces journées d’informations, d’explications, de discussions, aucun abertzale de gauche dûment étiqueté comme tel, en tous cas pas le moindre « responsable » ne daigne même faire acte de présence… Pensez… ils ne vont pas se compromettre avec des « adversaires de classe »… et puis ils maitrisent déjà si bien tous ces sujets ! L’ironie est dans doute facile, mais cette immaturité de la gauche abertzale « organisée » est véritablement consternante. En revanche, ceux-là même qui ne veulent surtout pas frayer avec la « droite abertzale » (qu’ils disent) n’ont aucun scrupule à coopérer avec les représentants et caciques des partis succursalistes français, par exemple au sein d’institutions comme la Communauté d’Agglomération Pays Basque. En somme, dans le registre des contorsions politiques, la gauche abertzale actuelle, dite organisée, n’éprouve aucun cas de conscience à jouer aux illusionnistes dans ce cirque de la communication.
Colonisation et substitution de populations
Pour en revenir aux questions soulevées par le référendum du 4 novembre 2018 en Kanaky, j’engage tout un chacun à lire la prise de position exprimée par l’avocat martiniquais Raphaël Constant que j’ai eu l’honneur et l’avantage de connaitre lorsqu’il défendait, avec d’autres confrères, les prisonniers politiques basques du nord, membres d’Iparretarrak. Je suis en phase avec la quasi totalité de cette analyse consultable via le lien http://www.montraykreyol.org/article/la-supercherie-de-la-consultation-du-4-novembre, mais, à la relecture, j’émet aujourd’hui une réserve concernant le droit de vote des caldoches, dans le cadre d’une consultation sur l’avenir politico-institutionnel de la Kanaky. À la fin de son billet, Raphaël Constant estime en effet que : « (…) Le seul exercice du droit des peuples consisterait à ne consulter que le peuple dominé, qui a été spolié, le peuple kanak (…) ». Je peux comprendre qu’au regard de l’histoire violente de la colonisation de la Kanaky on puisse défendre un tel point de vue, mais je crois cependant qu’il est tout bonnement impossible aujourd’hui de faire admettre ce principe dans les instances internationales. En outre, au risque de m’attirer les foudres des dogmatiques – pour partie, ceux-là mêmes qui aujourd’hui sont prêts à bien des compromissions avec les puissances tutélaires -, je ne vois pas comment on pourrait escamoter la composante de la population actuelle de Kanaky, descendants des colons ou s’étant établie sur l’archipel au fil du temps ? Nés sur cette terre que leurs ancêtres avaient certes conquise par la violence ou venues par le biais d’une colonisation de peuplement qui ne dit pas son nom, ils sont, de fait, des habitants de ce pays… que l’on ne peut pas exclure du débat sur l’avenir politique et institutionnel de la Kanaky !
Par ailleurs, et même si l’on parle de composantes très minoritaires dans un camp comme dans l’autre, je me démarque de l’équation mathématique : Kanak = pro-indépendance ; caldoches = anti-indépendance. C’est un peu plus complexe que cela et l’examen attentif des résultats de la consultation du 4 novembre amène déjà à constater qu’une part, certes très minoritaire, de non kanak a voté pour la perspective de l’indépendance. C’est là, à mon humble avis, une donnée prospective très importante à intégrer à un agenda et à une stratégie politique devant conduire à l’indépendance de la Kanaky. Une des clés qui permettra d’ouvrir la porte à cette perspective, c’est de convaincre une majorité d’habitants non kanak, favorables aujourd’hui au maintien dans le giron français – mais aussi, ne les oublions pas, les kanak non-indépendantistes – que l’indépendance, au delà d’une revendication légitime, c’est mieux que la situation actuelle. Ceci est naturellement vrai pour tout pays privé de ses droits nationaux par un État-nation l’ayant placé sous sa tutelle, donc pour le Pays Basque aussi. Chez nous également, même si le facteur colonial ne peut pas être allégué dans les mêmes termes qu’en Kanaky, Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion, la Polynésie et autres, une forme de colonisation de peuplement est à l’oeuvre depuis de très nombreuses années, par l’arrivée massive de populations allogènes. Pour un Pays Basque que sa longue histoire a façonné comme une terre d’accueil et d’intégration harmonieuse, ceci ne serait pas un problème, si les populations en question étaient animées de la volonté, si ce n’est d’adopter, à tout le moins de respecter notre identité, à commencer par notre langue et notre culture. Il faut bien admettre que nous sommes loin du compte et ce qui se joue de manière chaque jour plus cruciale – cela étant dit sans aucune connotation xénophobe – c’est véritablement un risque de dilution de notre Être basque, via un phénomène pernicieux de substitution de population. L’essence même de ce qui nous fait encore le peuple premier de l’Europe est en danger de disparition et ce n’est pas outrance d’affirmer cela.