L’Europe comme perspective et comme référence

 

Une des lacunes majeures du monde abertzale – je rappelle que je n’emploie plus le mot de « mouvement », si peu approprié à la réalité d’aujourd’hui… se prétendant de « gauche » mais aussi de l’abertzalisme centriste-libéral du Parti Nationaliste Basque (EAJ/PNV) est de concevoir son action politique au sein des deux États-nations, espagnol et français, qui se sont accaparés le Pays Basque… sans se projeter au-delà de ce cadre contraint, en particulier en direction de l’Europe en tant que perspective et référence. Oh, certes, il y a de grandes déclarations d’intention, situant le combat abertzale comme partie intégrante de la construction d’une « Europe unie des peuples et des nations » ; il y a aussi des relations, plus ou moins établies et suivies, entre partis politiques de « nations sans États » comme on dit dans les milieux branchés ; des alliances existent également entre organisations « autonomistes / indépendantistes » au sein des institutions de l’Union européenne, plus précisément au Parlement européen ; quelques « grandes messes » comme les Ghjurnate di Corti (Journées de Corte) se déroulent aussi chaque année, occasion pour des abertzale soi-disant « organisés » de se la jouer « super-indépendantistes » parmi leurs coreligionnaires pendant que le reste de l’année ils participent allègrement et avec gourmandise au bon fonctionnement des institutions espagnoles et françaises…

Mais cela – on ne saurait dire « tout cela » ! – est juste de l’affichage, de la gesticulation, de la « roupie de sansonnet » pour tout dire. On gratte à peine un peu et on voit tout de suite qu’il n’y a rien de sérieux, de concret, de réfléchi, d’élaboré derrière les déclarations de principes, les proclamations dithyrambiques. De la sorte, les organisations abertzale et leurs homologues des pays niés dans leurs droits nationaux se bornent à déployer leur activité politique dans le cadre de leurs États-nations respectifs. Donc à reconnaître de facto l’intangibilité des États-nations en question… C’est là une constatation fondamentale et toutes les dénégations se heurteront à la réalité des faits. Le monde abertzale, aussi bien au sud qu’au nord, situe son action en fonction de ses tutelles politiques et administratives respectives, sans dépasser, autrement que par des formules creuses, ces cadres de référence. Or, l’évidence voudrait que l’abertzalisme se projette au-delà de l’existence et du fonctionnement des États espagnols et français et se place dans la perspective de l’édification d’une Europe véritablement fédérale, c’est-à-dire constituée de pays librement fédérés et dotés du droit à l’autodétermination, inaliénable par définition.

Disant cela, je ne suis cependant pas naïf au point de nier les réalités socio-politiques façonnées par des siècles de tutelle. Je sais bien que, pour ne parler que du cas du Pays Basque nord, on ne passera pas d’un coup de baguette magique d’une situation de pays ayant acquis tout récemment une reconnaissance juridico-politique à minima – je veux parler bien sûr de la Communauté d’Agglomération Pays Basque mise en place le 1er janvier 2017 – à un pays rétabli dans la plénitude de ses droits et maitre de sa destinée. De même que j’ai bien conscience que l’Union européenne actuelle, celle des capitaux et des marchands, et qui est l’instrument des États-nations qui la conçoivent essentiellement comme lieu de défense de leurs intérêts souvent divergents, n’évoluera pas du jour au lendemain en une Europe fédérale unie autour des valeurs de solidarité, de complémentarité, d’harmonisation par le haut des réglementations sociales, de défense de la démocratie dans toutes ses dimensions. Il y aura bien sûr des paliers d’évolution, des avancés notables mais sans doute aussi des reculs sévères et surtout une féroce résistance des entités constituées en États-nations, au premier rang desquels la France et l’Espagne… Ces constructions dont la forme actuelle ne date jamais que de 2/3 siècles ont tellement conforté leurs bases et façonné les croyances des populations sur leur caractère intangible, que la lutte sera dure et longue. 

Il est donc bien certain qu’une organisation politique abertzale en Pays Basque nord devra inscrire son action dans le cadre de ces évolutions, si ce n’est même qu’elle devra en être un des aiguillons, qu’elle devra participer aux différences étapes institutionnelles, mais – et c’est là la différence fondamentale avec la situation actuelle – en étant porteur d’un projet politique complet, crédible, compréhensible et acceptable par une population façonnée par des siècles de tutelle jacobine ; projet s’inscrivant dans une autre perspective, une autre référence que l’État-nation France, celle d’une Europe unie réellement fédérale, émanation de pays librement associés et détenteurs de leurs droits nationaux intangibles. Plus facile à énoncer qu’à réaliser, bien sûr, mais c’est bien cette vision là, cette projection là qu’un mouvement – pour le coup le terme serait judicieux – abertzale doit se donner comme objectif pour le défendre au long de toutes les étapes d’évolution, au sein de toutes les institutions où il sera représenté. De la sorte, le mouvement abertzale se situerait dans la plénitude de ce qui est sa raison d’être, celle de conduire un pays à son émancipation, celle de tracer les routes vers un destin choisi et maitrisé par la majorité de sa population, celle d’être acteur d’une voie politique vers quelque chose de mieux pour le Pays Basque… et non pas, comme dans sa configuration et son fonctionnement actuels, un bien modeste supplétif des forces politiques succursalistes françaises, abonné aux places électives que l’on daigne chichement lui concéder et – c’est là le pire ! – se satisfaisant fort bien de cette situation!   

Échapper au « syndrome corse »

Un projet politique se basant sur la mise en place d’une autonomie réelle, dotée donc des compétences législatives, normatives et fiscales et du droit reconnu à l’autodétermination, et ayant pour cadre supranational une Europe fédérale aboutie, est une condition sine-qua-non pour faire « bouger les lignes », pour progresser vers le double objectif de l’autonomie réelle et du fédéralisme abouti. En effet, sans projet politique à défendre dans les différentes phases d’évolutions politico-institutionnelles et à rappeler sans cesse face aux conceptions et aux objectifs des partis succursalistes français, on tombera immanquablement dans ce que j’appelle le « syndrome corse ». Avant de développer, je préciserai que j’ai quelques amis parmi les nationalistes corses, y compris chez ceux qui sont aujourd’hui aux manettes de la Collectivité de Corse, et que je risque peut-être de heurter leur sensibilité par les réflexions que je vais énoncer maintenant. Mais je dois à l’honnêteté et à la responsabilité politique de dire ce que je pense de la situation en Corse toutes ces dernières années, afin que le Pays Basque nord ne connaisse pas demain une situation similaire. Bien que ceci ne dépende guère – j’en ai bien conscience ! – de ma modeste personne…

Ce que je définis donc comme le « syndrome corse », c’est le panorama politique actuel au sein de cette institution découlant d’un statut particulier qu’est la Collectivité de Corse. À savoir, une large majorité nationaliste – 41 élus sur 63 – composée d’autonomistes patentés (Femu a Corsica et Partitu di Nazione Corsa – PNC) et d’indépendantistes ou proclamés tels (Corsica Libera) qui depuis qu’elle est à la barre n’est en mesure que de gérer un ersatz d’auto-gouvernement, bien loin même d’une autonomie de gestion. Un état de fait qui la conduit à être en permanence « le nez dans le guidon » à gérer des moyens institutionnels et des outils politiques étroitement contrôlés par la tutelle française et corsetés (sans jeu de mots !) dans une réglementation dont la raison d’être fondamentale est d’assurer la pérennité des conceptions jacobines. Il faut en outre ajouter à cela la nécessité quotidienne de faire face à toutes les chausse-trappes, les obstacles, les blocages que la tutelle parisienne lui place sur le chemin dans le but évident d’accélérer son usure au pouvoir, afin que, lors des prochains scrutins, il y ait un retour du balancier électoral en faveur de composantes politiques succursalistes françaises, plus fréquentables aux yeux de Paris et aussi plus malléables. Bien sûr, tout n’est pas noir dans le bilan actuel de la majorité nationaliste de la Collectivité de Corse, ce serait profondément malhonnête de tirer cette conclusion. Il y a la volonté affirmé de défendre les droits nationaux corses, des réussites dans des politiques sectorielles comme le PADDUC (Plan de développement durable de la Corse), la promotion de la langue et de la culture corses, la récente proposition de loi au sein de l’Assemblée nationale française pour combattre la spéculation foncière… mais aussi des échecs patents (la question de la gestion des déchets, par exemple). Toutefois, le bilan global de la gestion nationaliste de la Collectivité de Corse reste à ce jour en demi-teinte, n’en déplaise à leurs grands supporters basques de Euskal Herria Bai et Euskal Herria Bildu, qui ont pour Siméoni, Talamoni et consorts les yeux de Chimène et sont bien incapables, pour cela comme pour le reste, d’esprit critique et de vision impartiale. 

Si l’on complète le tableau en disant que les deux – on pourrait même dire trois car Femu a Corsica et le PNC ne sont pas toujours sur la même longue d’onde… – composantes de cette majorité nationaliste ne s’entendent pas vraiment et sont en compétition permanente pour conserver ou essayer d’obtenir le leadership, que surtout elles ne portent non seulement aucun projet politique commun mais même chacune de son côté… on comprend qu’elle est loin, très loin, d’être en mesure de tracer des perspectives politiques et de proposer un véritable choix alternatif, un autre avenir politico-institutionnel pour la Corse, en terme d’autonomie réelle par rapport à l’État français, sans même parler de velléités souverainistes. De fait, ce qui permet à « l’échafaudage de tenir » et de gommer toutes les aspérités à l’intérieur du monde nationaliste, c’est le talent politique, le charisme – on pourrait même dire l’aura – du dirigeant autonomiste et président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni. Sa personnalité très consensuelle, sa réelle ouverture d’esprit, son caractère démocratique indéniable, son habileté politique permettront sans doute aux nationalistes corses de sortir à nouveau vainqueurs des élections à la Collectivité de Corse prévues en juin 2021, même s’il est tout à fait probable, pour ne pas dire certains, qu’autonomistes et indépendantistes partiront chacun de leur côté, contrairement à il y a quatre ans. Mais ce que l’on peut appeler « le siméonisme » ne parviendra pas éternellement à résister aux coups de butoir à la fois extérieurs (ceux assénés par Paris) et intérieurs (ceux découlant des dissensions internes dans le camp nationaliste) et le syndrome corse actuel risque d’aboutir demain à une situation de désillusion de la population corse qui ramènera aux affaires les tenants de « l’unité nationale française ». Une tournure qui serait non seulement préjudiciable à la Corse mais également à la crédibilité de toutes les expressions politiques défendant les droits nationaux des pays enfermés dans le carcan de l’État-nation France. Rien n’est inéluctable dans la prospective que je dépeins, mais les forces politiques autonomistes et indépendantistes corses n’ont que peu de temps pour repositionner leur action en direction d’un projet politico-institutionnel émancipateur et évolutif élaboré et porté de concert.

 

Savoisiens, nissarts et autres « oubliés » de la vulgate abertzale… 

C’est aussi, je me répète, ce qui devra être le cas en Pays Basque nord, car sans projet politique abertzale de gauche – mais aussi d’inspiration libérale, car la population a droit à plusieurs offres sans exclusive idéologique -, le même schéma que celui de la Corse se répéterait… si tant est toutefois qu’arrive à plus ou moins longue échéance aux commandes d’une institution basque au nord une majorité « abertzale », disons plutôt régionaliste ! Il faut bien reconnaître néanmoins que ceci relève, dans le panorama politique actuel, d’un scénario des plus irréaliste… En effet, le tableau de la crédibilité abertzale de facture régionaliste étant ce ce qu’il est, du moins pour porter un projet politique global à l’échelle du Pays Basque nord, les enjeux n’en sont pas là aujourd’hui. Il n’empêche, un mouvement abertzale en Pays Basque nord qui se reconstruira sur ce qui est devenu au temps présent un champs de ruines aura aussi la nécessité de placer ses perspectives et sa stratégie dans un cadre qui dépassera l’horizon des États-nations. Et c’est là un changement radical de paradigme, par rapport à ce qui a été jusqu’à maintenant. Il y a certes tellement de travail à accomplir, dans tous les domaines, la montagne à gravir est tellement haute que cela en parait impossible, mais pourtant il faudra que dès le départ de cette véritable refondation, la question des alliances, des interactions, des solidarités, des actions communes avec des mouvements s’inscrivant dans une volonté émancipatrice de leur pays respectifs soit posée et traduite dans les faits.

Or, il n’y a pas à ce jour, face à l’État-nation France, de véritables structures d’échanges, de solidarité et d’élaboration de stratégie sinon commune du moins concertée des organisations politiques émancipatrices présentes dans différents pays. Ainsi, la fédération Régions et Peuples Solidaires (R&PS) est davantage un regroupement, essentiellement à visées électorales, d’une douzaine d’organisations politiques, dont EH Bai (du moins les « sensibilités » Abertzaleen Batasuna et Eusko Alkartasuna) censé représenter le Pays Basque nord, qu’une alliance stratégique efficiente. Qui plus est, malgré ce qui est énoncé dans sa charte, R&PS a pour objectif, on peut même dire « à terme », une forme institutionnelle composée d’autonomies internes regroupées dans un ensemble fédéral français. Donc, aucune remise en cause fondamentale de la pérennité de l’État-nation France. Il faut que cela soit clair ! Ce positionnement politique et cette perspective institutionnelle ne sont de toute façon aucunement surprenants pour une fédération qui compte en son sein des organisations plus sûrement de conceptions régionalistes que réellement autonomistes, et qui a pour allié privilégié les écologistes de gauche d’Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) pas vraiment adversaires résolus des États-nations. On se trouve de fait en présence d’un réseau fédéré par le plus petit dénominateur commun possible… On connait ça par chez nous, où les pro-département basque et les composantes et affidés de la coalition Batera on tenu la corde pendant (trop) longtemps. R&PS leur convient très bien et ce n’est certainement pas de ce côté-là qu’il faut regarder pour construire une organisation politique s’inscrivant dans une perspective fédérale aboutie.

Aussi, pour créer ce réseau d’organisations politiques autonomistes / indépendantistes ayant pour perspective et référence un échelon européen de conception réellement fédérale, il faudra prospecter ailleurs que sur les chemins empruntés jusqu’à maintenant. Il y a en outre des groupements politiques (partis ou autres formes d’organisation) qui ont échappé à l’intérêt ou plus simplement à la connaissance des organisations abertzale à oeillères et qui ne sont pas reconnus d’elles comme alliés possibles. Il en est ainsi des formations politiques proclamant le rétablissement des droits nationaux de la Savoie et du Pays de Nice. Ces deux pays n’ont été rattaché à la France qu’en 1860 – soit bien après les provinces basques du nord ! -, via un référendum truqué. Il faut dire que l’infâme tyran qu’était l’empereur Napoléon III l’avait joué très fin en acceptant d’aider le Royaume de Sardaigne, composante des États de Savoie, à unifier l’Italie, en chassant les occupants autrichiens… en échange de la cession des territoires du Duché de Savoie et du Comté de Nice à la France ! Un sombre marchandage, en vertu (si on peut dire !) duquel les populations des deux pays étaient acquis comme bétail, et qui fut scellé par le Traité de Turin signé par le  souverain de Savoie le duc Victor-Emmanuel II qui devenait de la sorte roi d’une Italie réunifiée… et parfaitement artificielle comme tous les États-nations !

Par conséquent, les savoisiens et les nissarts (niçois) ne sont devenus français que dans le dernier tiers du XIX siècle, ce qui laissent encore aujourd’hui des traces dans le sentiment d’une appartenance nationale non-française chez un certain nombre d’habitants de ces deux pays. La vérité oblige cependant à reconnaitre que les savoisiens et les nissarts ayant une conscience de leur identité nationale et militant pour la reconnaissance des droits qui leur ont été spoliés sont en très grande minorité. La faute en incombe certes à 160 années d’emprise jacobine sur les esprits, d’intégration politique et de centralisation administrative, mais aussi à une situation que l’on peut qualifier d’expropriation de leur pays par installation massive de populations allogènes, due pour une bonne part à un « développement » économique basé sur le tourisme de masse. Il en a résulté une caractéristique démographique qu’il ne faut pas hésiter à qualifier de colonisation de peuplement… une situation qui de jour en jour davantage nous pend au nez en Pays Basque nord ! Ce phénomène, mortifère pour l’existence d’une conscience basque, d’une identité singulière et d’une revendication des droits nationaux, est d’ors et déjà bien entamé, à vrai dire… 

La plupart, si ce n’est même la quasi totalité des abertzale régionalistes étiquetés EH Bai n’ont jamais entendu parler des courants autonomistes / indépendantistes savoisiens et nissarts. Outre le fait que leur culture politique, y compris au sujet du fait abertzale, est réduite à sa plus simple expression, leur vulgate idéologique limite leur champ de connaissance des mouvements émancipateurs se confrontant à l’État-nation France aux corses, aux bretons, peut-être un peu aux occitans (et pas du tout aux gascons, pourtant historiquement bien différenciés !) et aux alsaciens… mais pour le reste c’est le vide sidéral ! Or, dans le cadre d’une refondation du mouvement abertzale de gauche en Pays Basque nord, il faudra bien mettre en place un axe de travail pour développer les solidarités et les actions concertées entre organisations autonomistes/indépendantistes s’inscrivant dans l’optique d’une Europe fédérale aboutie. Cela devra être quelque chose de bien plus sérieux et efficace, de plus productif aussi, que les « grandes messes » genre ‘Ghjurnate di Corti’ et autres ‘Université d’été R&PS’ qui ne rassemblent que des gens satisfaits de se retrouver entre eux, tout en étant convaincus – ou plutôt s’étant auto-convaincus… – de représenter une alternative pour leurs pays et communautés respectifs.

 

Pour une stratégie d’alliance et de solidarité

De même, il est évident qu’il sera d’une nécessité impérieuse de rechercher et de concrétiser des échanges, des coopérations et, à terme, des alliances avec des mouvements politiques de pays captifs des États-nations européens et chez lesquels se manifestent des volontés d’émancipation nationale. Là encore, l’inculture du monde abertzale actuel est des plus patentes, qui ignore ou, au mieux, a entendu vaguement parler des organisations autonomistes/indépendantistes, par exemple dans le Tyrol du sud occupé par l’Italie depuis la fin de la Première Guerre Mondiale, ou encore à Venise, qui fut une république indépendante durant 1100 ans (697-1797) avant de perdre sa souveraineté suite au Traité de Loeben signé sous l’égide du général Bonaparte (futur Napoléon 1er) entre la France et l’empire autrichien. Aussi bien dans le sud Tyrol qu’en Vénétie – qui est juste une partie de l’ancienne République de Venise – les aspirations émancipatrices par rapport à l’État-nation Italie sont relativement fortes. On peut en dire de même de la Lombardie et du Frioul, elles aussi anciennes possessions de l’empire austro-hongrois, ballotées au jeu des guerres entre empires et objets de marchandages entre puissances occupantes.

Dans ces pays historiques, englobés dans l’Italie d’après « l’unification » de 1861, les aspirations autonomistes, indépendantistes ont une certaine audience, y compris électorale, mais il faut malheureusement convenir qu’une partie de ces expressions flirtent quelque peu avec le nationalisme chauvin d’extrême droite de la Lega Norte (Ligue du Nord). En conséquence, il doit être bien clair – est-ce vraiment utile de le préciser ? – qu’un mouvement abertzale dont les perspectives dépasseront le cadre des États-nations et qui sera en relation avec les autonomistes/indépendantistes tyroliens, vénitiens ou autres, ne se compromettra pas avec des néo-fascistes et qu’il devra donc être vigilant pour n’avoir de relations qu’avec les expressions démocratiques. On pourrait également citer d’autres organisations politiques actuellement actives et se situant dans le champ des aspirations émancipatrices, comme les Frisons au Pays-Bas, les Sorabes en Allemagne, les catalans, galiciens, léonais et andalous dans l’État espagnol, les gallois, les corniques ( habitants des Cornouailles), les irlandais du nord et les écossais en Grande-Bretagne… les derniers nommés, engagés dans un processus vers la souveraineté, étant les « chouchous » actuels des régionalistes basques du nord et de leur maître à penser du sud qui se donnent de la sorte une image indépendantiste par procuration. 

Une des seules structures fédératrices de niveau international pour des pays, des communautés, des minorités au sein d’États-nations dont les droits nationaux ne sont pas reconnus, voire bafoués et/ou qui subissent une oppression est l’Organisation des Nations et Peuples non représentés (UNPO : https://unpo.org). L’UNPO, officiellement fondée en février 1991 lors d’un congrès tenu au Palais de la Paix à La Haye (Pays-Bas), s’est donné pour objectif de « faire entendre la voix des peuples non représentés et marginalisés du monde entier et pour protéger leurs droits à l’autodétermination ». Ce postulat de base de la défense et de l’impulsion du droit à l’autodétermination est clairement énoncé et argumenté sur le site internet de l’organisation (dont la version en français demanderait, soit-dit en passant, à être un peu amélioré…). L’UNPO compte à ce jour 43 membres répartis sur les 5 continents, mais étonnamment c’est en Europe occidentale que la structure compte le moins de représentants. Il s’agit en l’occurence du KAD (Kelc’h An Dael, qui signifie Cercle du Parlement) dont le but proclamé et de « (…)recréer le Parlement de Bretagne, à travers les élections nationales bretonnes » ; de l’ANC ou Assemblea Nacional Catalana qui « (…) promeut le droit du peuple catalan à l’autodétermination et la proclamation ultérieure d’une République catalane » ; et du Gouvernement provisoire de l’État de Savoie dont la mission principale est : « (…) de sensibiliser la communauté internationale à la cause du peuple savoisien ».

Je vois d’ici quelques régionalistes basques se gausser de formulations comme « recréer le Parlement de Bretagne » ou « Gouvernement provisoire de l’État de Savoie », eux dont la seule ambition semble se résumer à être les supplétifs bien accommodants des formations politiques succursalistes françaises au sein d’institutions elles aussi bien dans la logique ‘Une et Indivisible’. Ils en oublieraient sans doute que, il y a à peine un peu plus d’un demi-siècle, le mouvement abertzale alors naissant en Pays Basque nord était archi-minoritaire en terme électoral… et qu’il l’est encore aujourd’hui malgré des résultats notables surtout en Pays Basque intérieur, mais sur des positionnements essentiellement locaux (élections municipales et départementales). Les mêmes pontifiants se garderont bien en revanche de défendre publiquement le concept pourtant internationalement reconnu du droit à l’autodétermination et la revendication de l’autonomie institutionnelle.

Il n’y a donc à l’heure actuelle aucune représentation abertzale au sein de l’UNPO et il n’y en a jamais eu. Ce serait là, à mon sens, une lacune majeure à combler pour réoccuper en quelque sorte le terrain de lutte absolument original ouvert durant les années 2008 et 2009 par l’organisation politique abertzale Autonomia Eraiki qui envoya des délégations à deux sessions de l’Instance Permanente sur les Questions Autochtones de l’Organisation des Nations Unis à New York (https://un.org/development/desa/indigenous-peoples-fr), suscitant alors la surprise et la fureur des représentants français au sein de cette instance.

Il est cependant bien clair que seul un mouvement abertzale se positionnant et travaillant sérieusement pour une finalité d’autonomie réelle au sein d’une Europe fédérale aboutie aura légitimité à poursuivre ce combat comme à adhérer à une structure telle que l’UNPO. Nous n’en sommes assurément pas là mais il serait bien de se donner d’ors-et-déjà l’objectif de commencer à marcher dans cette direction.

 

Cultiver les champs du possible

Rechercher et cultiver des relations de solidarité entre mouvements politiques démocratiques défendant les droits nationaux, et cela à l’échelle de l’Europe, ne doit pas exclure des actions possibles dans le cadre des structures politiques supra-étatiques actuelles. Le Parlement européen pourrait être un échelon pertinent… si, en dehors du fait qu’il n’a qu’un pouvoir des plus limités, il n’était la claire émanation des États-nations de l’Europe actuelle. Il existe bien en son sein un parti fédéré dénommée Alliance Libre Européenne qui regroupe 46 organisations ou formations politiques classés comme « régionalistes, autonomistes, nationalistes », ce qui déjà en soi est assez nébuleux, mais avec seulement 13 députés européens sur 705 son audience est des plus restreinte. Cette faiblesse politique a conduit ce mouvement à s’allier en 1999 avec le Parti Vert Européen pour former un groupe au Parlement européen… Parti Vert Européen dont l’essence, aux même titre que sa composante française, ne le porte pas à remettre vraiment en question une Europe des États-nations. En outre, si au sein de l’État français, entre autres, les règles pour les élections au Parlement européen n’évoluent pas, en termes de circonscriptions électorales plus pertinentes et de mode de scrutin plus juste, cette instance ne pourra guère favoriser la progression des droits nationaux pour les pays qui en sont privés. Peut-être pourrait-on penser qu’il existe davantage de marges de manœuvre dans une instance comme le Comité européen des régions-CdR : https://europa.eu/european-union/about-eu/institutions-bodies/european-committee-regions_fr institué en 1994 et qui est censé permettre aux collectivités régionales et locales (régions administratives, départements, communes, etc.), de faire entendre leur voix et de défendre leurs intérêts au sein du système institutionnel de l’Union européenne ? Toutefois, en dehors du fait que c’est bien, là encore, une émanation de cette Europe des États-nations, son rôle est purement consultatif… donc sans grande opportunité d’avoir quelque efficacité que ce soit, au moins pour la promotion des droits nationaux non-reconnus !

Des moyens de se faire entendre et d’agir sur ces questions sont sans doute plus l’apanage d’une Institution comme le Conseil de l’Europe (www.coe.int/fr/web/portal/home) – à ne pas confondre avec le Conseil européen qui est la réunion des présidents et des chefs de gouvernement des 27 États membres actuels de l’Union européenne – CoE qui regroupe 47 États européens. Plus précisément, une instance de cette institution, dénommée Congrès des pouvoirs locaux et régionaux s’avère être un lieu de contacts entre représentants de strates institutionnelles infra-étatiques comme les collectivités locales, de travail de réflexion en commun, d’étude de sujets mis sous le boisseau par les États-nations, et constitue une caisse de résonance pour des revendications inaudibles au sein des États en question. C’est le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux qui a élaboré et porté la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, texte signé en partie par la France… mais toujours pas ratifié par Paris ! C’est encore cette instance qui a concoctée la Charte européenne de l’autonomie locale, entrée en vigueur en 1998, signée et ratifiée elle par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Sans toutefois en attendre des miracles, il semblerait que ce soit là un niveau de relations à l’échelle des institutions européenne qui puisse permettre des avancées pour les pays dont les droits nationaux sont niés.

Dépasser le tête à tête contraint et la confrontation à portée limitée avec l’État nation tutélaire, se projeter vers un cadre d’action de niveau européen, concevoir un projet politique d’autonomie réelle qui se donne pour perspective institutionnelle cette échelle européenne, rechercher parmi les organisations politiques autonomistes/indépendantistes de divers pays des relations d’échanges, de solidarité pouvant conduire à des actions concertées, travailler à la formulation et à l’argumentation d’une Union européenne de type fédéral abouti, sortir des sentiers classiques bien que nécessaires du militantisme politique (élections, travail de terrain, diffusion d’analyses, énoncé de propositions, participation aux débats, etc.) pour aller sur des terrains où les tenants des États-nations ne nous attendent pas (participation à des sessions internationales comme celles d’instances onusiennes), le travail à accomplir est immense et paraît insurmontable. Il faudra bien pourtant s’y atteler si on souhaite que le Pays Basque, considéré en son ensemble, participe de sa propre voix aux concert des nations libres, trace sa voie sur le chemin de l’émancipation. Il convient pour cela de cultiver tous les champs du possible tout en visant d’autres horizons, en se disant que ce qui peut paraître utopique voire chimérique aujourd’hui peut devenir réalité demain. Ce ne sera évidemment pas sans travail et sans une détermination inébranlable mais l’existence demain d’un Pays Basque affranchi de toute tutelle et membre à part entière d’une Europe des pays émancipés et solidaires est à ce prix.

 

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