Un abertzalisme hors-sol…
« Qu’est-ce donc être abertzale ? ». La réponse à une telle question n’est pas aussi simple qu’elle pourrait le sembler de prime abord… Je vais néanmoins essayer de me lancer dans l’exercice difficile d’une définition. Et, bien entendu, j’admets par avance tout avis qui serait autre… Je me démarque clairement en cela de cette frange sectaire de l’actuelle « gauche abertzale » !
Pour moi, être abertzale, c’est d’abord et avant tout, en première réponse, une question de conscience, plus exactement de prise de conscience. Conscience d’être d’un pays qui a une identité affirmée et des droits, mais que l’une n’est pas reconnue comme un fait national – celui d’être l’expression d’une nation – et que les autres – les droits afférents à l’existence d’une nation – ne sont pas respectés. Cependant, pour beaucoup – et je parle plus précisément de la situation en Pays Basque nord – se définir comme « abertzale » se revendiquer comme tel – du premier cas au second, c’est déjà une progression -, est évidemment ressenti et exprimé de manière moins élaborée et théorisée que je ne le fais ici.
À partir de ce fondement de la (prise de) conscience, il y a des gradations dans l’affirmation abertzale et le niveau que l’on pourrait qualifier d' »abouti » est celui d’être un militant politique. Une espèce assez rare en vérité par les temps qui courent !… Militant politique, car c’est le degré de conscience et d’engagement qui apporte à l’individu et au collectif une réponse globale à une situation donnée. Le politique, c’est le sens de la globalité, celui d’un projet réfléchi, mûri et porté en commun, qui fédère les luttes sectorielles et propose un chemin vers des aspirations de liberté, de solidarité, de mieux-être matériel, d’épanouissement de l’esprit, de cohabitation harmonieuse entre les différents catégories de population, de société vivant dans une démocratie la meilleure possible.
Tout ceci est fort joli (on me pardonnera ce trait d’immodestie !)… mais qu’en est-il aujourd’hui du fait abertzale en Pays Basque nord ? Je ne vais pas y aller par quatre chemins pour dire que nous sommes entrés depuis déjà un certain nombre d’années (si ce n’est de décennies) dans une phase que je vais qualifier d' »abertzalisme hors-sol », en tous cas pour la partie visible, publique du monde abertzale. Or, de mon point de vue, être abertzale, quelque soit le degré sur lequel on se situe, c’est être un élément plein et entier de la société dans laquelle on se trouve, c’est participer à la vie de cette société, c’est être en relation – en « interaction », pour employer un terme à la mode – avec les autres individus composant cette société, c’est avoir une attitude naturelle de relation aux autres, à tous les autres, quelles que soient leurs croyances politiques, philosophiques, religieuses ou non-religieuses, etc. Je ferai toutefois une exception concernant la relation aux fachos, racistes et autres engeances du genre. Bref, être abertzale, c’est être DANS la société et y avoir un rôle que personnellement je verrai majeur.
Or, de nos jours, et en Pays Basque nord en tous les cas… ce n’est pas du tout la réalité abertzale, tout au moins dans ce microcosme qui se voudrait l’expression de l’abertzalisme organisé. L’adjectif « organisé » n’est d’ailleurs pas du tout conforme à la réalité, car il s’agit plutôt d’un abertzalisme « d’étiquette ». Quoi qu’il en soit, dans ce monde là, on ne discute – et encore ! – qu’entre-soi, on ne se fréquente qu’entre gens qui pensent peu ou prou la même chose – si tant est qu’elles/ils pensent quelque chose ! -, on réagit aux mêmes évènements de manière très sélective et excluante, on se persuade que l’on est dans le vrai et que tous les autres – ceux hors du cercle fermé – ne comprennent rien à rien, on déclame des concepts – comme celui de « l’indépendance » – sans une once de réflexion sur leur réalité contemporaine, sur leur adaptation aux temps actuels, aux évolutions socio-politiques, aux mutations sociétales, on verse dans le mimétisme dès lors que dans un pays donné les forces politiques s’inscrivant dans la revendication du droit à l’autodétermination engrangent des succès électoraux (Écosse, Catalogne, Corse… mais pas Kurdistan, sans doute perçu comme pro-USA !), on n’a de pratique de la lutte politique que celle que je qualifie « par procuration » (voir ma publication précédente).
Sectaires inopérants et sectaires agissants…
Même si on pourra me reprocher – j’admets naturellement la critique en la matière – une comparaison inopportune, une outrance analytique, mais connaissant bien le sujet en question, j’affirme que nous ne sommes vraiment pas loin d’un mode de fonctionnement comme celui des sectes dites « en milieu ouvert » ou du moins qu’il y a le risque que cela le devienne incidemment. Les organisations sectaires en question – c’est le cas par exemple des ‘Témoins de Jéhovah’ – admettent que leurs adeptes fréquentent le milieu qui n’est pas le leur, ainsi pour la scolarisation des enfants, pour les activités professionnelles des adultes, mais c’est une cohabitation limitée au strict nécessaire. Certains secteurs abertzale ont indéniablement des visions et pratiques que l’on peut qualifier de sectaires, dans le sens étroitesse de conceptions, exclusions de ceux qui pensent autrement ou expriment ne serait-ce que des doutes, intolérance doctrinaire, références dogmatiques, fréquentations sociales limitées…
Bien entendu, celles et ceux que je dépeins de la sorte vont se récrier, dire à qui voudront les entendre que je verse dans la caricature, qu’elles/ils fréquentent tous le monde et ont des relations sociales en dehors de leurs convictions politiques. Voire ! Sauf que, dans la réalité des faits, ces « abertzale hors-sol », même s’ils ont une vie sociale qui participent du monde pluriel, ne se réfèrent dans leur psyché qu’à un monde fermé, pétri de certitudes et n’ayant d’inter-relations sociales/sociétales qu’obligées (études, travail, scolarisation des enfants, famille, relations de voisinage…). Ils sont la manifestation, le produit d’un enfermement… et en fait l’exact inverse de ce qu’est, de ce que doit être à mon sens, l’abertzalisme !
L’enfermement, en terme métaphysique, c’est une question de mentalité, de perception de l’autre, de comportement dans la société, d’une faculté de douter et de se remettre en question réduite au minimum, d’une propension à toujours réagir avec une sorte « d’esprit de famille » dévoyé… C’est ce même esprit de famille détourné qui fait que rares sont les abertzale à reconnaître qu’une frange non-négligeable de cette expression politique a muté depuis fort longtemps maintenant vers une idéologie et des pratiques totalitaires et qu’ils sont encore plus rares à dénoncer cet état de fait.
Les abertzale hors-sol, quasi sectaires, ayant une conception de la politique qui se résume à un entre-soi, qui vivent en quelque sorte dans un Pays Basque virtualisé, on les retrouve dans celles et ceux qui adhérent au ‘parti étiquette’ ou en sont « sympathisants ». On ne saurait les qualifier de « militants »… tant leur manière d’être et de fonctionner – en termes de réflexion, de travail politique, de conception d’un projet global et crédible – est inexistante, tant ils sont inopérants, tant ils n’ont aucune influence sur la marche de la société au Pays Basque nord, tant ils se poussent pourtant du col en ayant grappillé quelques strapontins dans les instances élues – plus par calcul politique de certains manitous locaux que par leurs mérites et compétences intrinsèques… On ne les voit guère que lors de pathétiques tentatives d’occuper fugitivement le terrain médiatique à l’occasion de quelque évènement – le G7, en dernier lieu – ou pour essayer de récupérer le succès de quelque lutte sectorielle. Ils n’ont d’autre existence que lors des rendez-vous électoraux, à l’occasion desquels ils avancent de vagues programmes politiques – qui sont en fait, pour la plupart, des catalogues de revendications – comme un illusionniste sortirait un lapin de son chapeau. Il faut toutefois reconnaitre que certains élus étiquetés abertzale accomplissent honnêtement et sérieusement leur fonction et ne sauraient être qualifiés de hors-sol. Mais il n’en demeure pas moins que leur travail s’inscrit dans un cadre politique et un agenda franco-français, du moment qu’ils n’ont pas en référence et en perspective un projet politique abertzale. C’est bien là une des déficiences majeures d’une expression politique qui voudrait pourtant incarner un destin émancipateur pour le Pays Basque…
Mais il y a aussi des abertzale hors-sol – et pas qu’un peu ! – chez ceux qui sont révulsés par l’abertzalisme de gauche à l’encéphalogramme plat qui tient lieu aujourd’hui de représentation publique de cette cause. Ceux-là voudraient relancer – du moins le laissent-ils entendre – un processus de lutte à tous niveaux, aller à la confrontation avec les États qui ont mis le grappin sur les Pays Basque, utiliser la rue comme moyen d’expression d’une colère, remettre à l’agenda les revendications de l’indépendance, du socialisme, de la réunification… excusez du peu ! S’il est aisé de comprendre leur exaspération au regard de ce qu’est devenu à l’heure actuelle le monde abertzale de gauche prétendument organisé, qui sert tout juste d’alibi « basquisant » aux responsables succursalistes des forces politiques françaises, qui n’a de perspectives qu’institutionnelles – en fait d’occupation de places – dans le cadre fixé par Paris…, on se rend vite compte que le rapport à la réalité socio-politique du Pays Basque nord de ces abertzale (qui se voudraient) agissants est tout aussi sujet à caution que celui des hors-sol amorphes ! Leur discours, leurs écrits, leurs postures montrent à l’envi qu’ils sont resté figés dans des références du passé qui ont non seulement échoué… mais aussi prouvé ô combien leur caractère anti-démocratique ! Ces abertzale-là prônent la relance de l’action militante, la mette éventuellement en pratique… mais si c’est pour réactiver et promouvoir une expression politique à caractère sectaire et non démocratique, le Pays Basque nord peut très bien s’en passer !
Relancer un abertzalisme efficace
Mais l’abertzalisme hors-sol est, fort heureusement, un phénomène minoritaire, si l’on prend en référence la définition que j’ai donné du fait abertzale. La très grande majorité de celles et ceux qui ont la conscience abertzale sont des gens qui sont partie intégrante de la société et y jouent un rôle au même titre que toute autre composante du corps social. Ils ne sont pas « à côté », ils sont « dans » l’organisation humaine. C’est sur ce substrat là qu’il faudra pouvoir compter pour « relancer la machine » abertzale de gauche afin qu’elle redevienne le lieu où s’imagine le meilleur pour le Pays Basque, qu’elle retrouve sa vocation de force de propositions, qu’elle puisse être un jour en capacité de tenir les commandes, non pour faire de la gestion d’une institution dans le genre « mains dans le cambouis » et « nez sur le guidon » – c’est ce que j’appellerai le « syndrome corse »… -, mais bien pour progresser vers la plénitude des droits nationaux du Pays Basque. Vaste programme, me rétorquera t’on… mais n’est-ce pas là pourtant la raison d’être d’un abertzale ?
En ce sens, il n’est d’abertzalisme « efficace » que celui qui s’organise dans la perspective de faire bouger les choses, de proposer une vision, un projet, un cheminement pour un Pays Basque réellement en situation de faire ses choix et maitre de sa destinée, débarrassé de la tutelle des États-nations qui se sont emparés de lui, par la ruse, par la tromperie ou par la force (ou tout cela à la fois !). Bien évidemment, ceci ne s’accomplira pas du jour au lendemain, mais graduellement, avec un mouvement abertzale de gauche qui sera en mesure de peser politiquement dans chacune des phases et qui aura toujours en point de mire l’objectif de faire acquérir au Pays Basque toute la palette de souveraineté possible et souhaitable, en ayant toutefois conscience que le monde d’aujourd’hui est celui de l’interdépendance et devrait être – il en est vraiment loin ! – celui des solidarités, des coopérations, des complémentarités, des échanges justes et fructueux pour tous.
Mais pour que cet abertzalisme efficace et crédible se mette en route… encore faudrait-il commencer par bouger, individuellement et collectivement ! Or, la « descente aux enfers » de toutes ces dernières années ne semble pas encore avoir atteint le fond… si ce n’est même que certains continuent de creuser ! On m’excusera de ramener parfois la réflexion à ma simple personne… mais je suis un tantinet agacé par un certain nombre de gens (pas tous… certains « ont déjà donné » !) qui me disent être en accord avec ce que j’écris, mais ne semblent guère décidés à remuer le petit doigt ! Le ressenti, la conscience que cela ne peut durer ainsi, c’est bien… mais si les actes ne suivent pas, c’est tout à fait improductif. Une fois de plus, je dirai – et ce faisant je n’ai pas la prétention d’avoir « inventé la poudre » – que pour sortir de cette spirale mortifère, il n’y a pas 36 solutions. Il faudra bien que des femmes et hommes volontaires, jeunes ou moins jeunes, ayant la conscience abertzale, prennent l’initiative d’organiser des réunions – par secteurs géographiques ou par affinités déjà établies – pour discuter, débattre, échanger, essayer de voir comment se réorganiser.
Le travail à mener peut sembler titanesque, mais il faudra se donner des objectifs graduels, établir des priorités et se dire que plus les cercles concentriques s’agrandiront, plus les moyens humains seront au rendez-vous. Je rajouterai ce qui peut apparaitre comme une difficulté supplémentaire, mais qui me semble un point important si ce n’est même fondamental : le mouvement abertzale de gauche à remettre sur les rails en Pays Basque nord devra se doter de ce que l’on appelle un peu pompeusement un « corpus idéologique », soit, pour faire simple, d’un ensemble d’idées, de perceptions et de positionnements politiques cohérents. Un corpus idéologique qui est absent depuis fort longtemps maintenant dans les diverses déclinaisons des partis étiquettes abertzale en Pays Basque nord et qui a fait que ces alliances de la carpe et du lapin étaient bien incapables de dégager une position majoritaire sur un certain nombre de sujets, de problématiques, ce qui les a conduit à la mis en pratique du « plus petit dénominateur commun » ou à la non prise de position.
Le corpus idéologique, de toute façon, se constituera comme fruit des discussions… pour peu que celles-ci démarrent ! L’auteur du présent laïus est évidemment prêt à apporter sa pierre à l’édifice et la métaphore de la construction est malheureusement juste tant le monde abertzale de gauche en Pays Basque nord apparait dans le temps présent, et ainsi que je l’ai déjà exprimé, comme un champ de ruines. Or, l’impérieuse nécessité d’aujourd’hui, c’est de travailler à la culture d’un champ de réflexions, de prospectives, de propositions pour faire face aux urgences, d’idées novatrices, d’organisation efficiente et démocratique… pour en terminer avec le dramatique cycle de l’abertzalisme hors sol et renouer avec l’abertzalisme en prise avec sa terre et les habitants de celle-ci.
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