Collectivité spécifique Pays Basque : l’apprentissage de l’autonomie

Manifestation pour réclamer une Collectivité Territoriale Pays Basque, Mauléon-Licharre, le 30/11/2013

La création, le 1 janvier 2017, après un processus de consultation et de vote des conseils municipaux des communes du Pays Basque nord, de la Communauté d’agglomération Pays Basque a permis de donner une existence politique et juridique à l’ensemble constitué par les trois provinces de la Basse-Navarre, du Labourd et de la Soule. Ce simple fait est en soi un évènement d’importance, car avant cette mise en place de la première institution officielle qui le représente en tant qu’entité politico-juridique, le Pays Basque nord n’avait d’autre existence que celle de destination touristique ou qu’en tant que sujet d’intérêt culturel.

Depuis maintenant 4 ans donc, le Pays Basque nord est reconnu comme entité institutionnelle, intégrée toutefois au sein de la région Nouvelle Aquitaine et du département des Pyrénées Atlantiques, ce qui montre bien combien son degré « d’autonomie » – j’ose le mot, même s’il est à des années-lumière du concept tel que je l’entend !- est limité et étroitement encadré. En fait, ce n’est ni plus ni moins qu’une grosse communauté de communes qui en intègre 158, pour une population de 309.200 habitants au dernier recensement. Et évidemment, les compétences et les moyens afférents, fiscaux, financiers et techniques ressortent du cadre général de ce type d’institution, ni plus ni moins. Autant dire que l’on est bien loin des pouvoirs politiques d’une collectivité spécifique telle que celle de la Corse ou du statut de Collectivité d’Outre-mer (COM). Mais si c’est une Communauté d’agglomération que Paris a fini par concéder au Pays Basque nord, c’est en bonne partie la résultante de l’abandon en rase campagne de la revendication d’une Collectivité Territoriale Spécifique par… les régionalistes regroupés autour du parti-étiquette et qui ne sont abertzale que le jour de l’Aberri Eguna ou pour aller faire le beau auprès de leur homologues corses, bretons, occitans ou autres !

Outre la reconnaissance politico-juridique d’une entité Pays Basque, la mise en place de la Communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB) a permis de concevoir et de traduire dans les actes une politique à l’échelle des trois provinces historiques englobées au sein de la République Française. Si l’on excepte le travail de réflexions et de propositions réalisé antérieurement et durant de nombreuses années au sein de la structure informelle Pays ‘Pays Basque’ (sic) et du Conseil de Développement du Pays Basque, la CAPB a  donné l’occasion à des élus de la totalité du Pays Basque nord de travailler ensemble en mode décisionnaire et non plus simplement consultatif et en force de propositions. Ce n’est pas non plus une mince affaire et le parcours effectué durant les 4 années qui se sont écoulées a montré que c’était loin d’être évident à traduire dans la réalité quotidienne. En effet, il y a eu bien des moments – et il y en a encore toujours – où le fonctionnement de la CAPB a eu tout à voir avec celui d’une usine à gaz et peu avec celui d’une institution efficiente… La faute principale en revenant à des cultures politiques et des manières de travailler radicalement différentes entre les « grosses » intercommunalités de la Côte Basque et les Communautés de communes structurant le reste du territoire basque au nord, entre des élus côtiers – pour un certain nombre d’entre-eux « professionnels » de la politique – et des représentants municipaux de l’intérieur dont les mandats se conçoivent comme un engagement en faveur de l’intérêt collectif. La faute aussi à ce postulat initial de prétendre vouloir « faire du neuf » (une Communauté d’agglomération unique) avec du « vieux » (les 10 Communautés d’agglomération ou de communes préexistantes). Avec des ingrédients aussi dissemblables, la « mayonnaise » ne pouvait pas prendre aussi naturellement que d’aucuns avaient voulu vendre la marchandise…

Au bout du compte, un fonctionnement quelque peu heurté et qui, malgré les améliorations et ajustements apportés en 4 ans d’exercice ne pourra pas, de quelque façons que ce soit, atteindre le niveau d’efficience d’une institution pensée dès le départ comme nouvelle et où les composantes préexistantes partent du même pied. Pour se convaincre que le modèle institutionnel Communauté d’agglomération ne pourra jamais dépasser un certain degré d’exercice du pouvoir et d’efficacité politique, il suffit de se pencher sur les chiffres : 158 communes représentés et un Conseil communautaire regroupant 232 élus !… Nul besoin d’être spécialiste en questions institutionnelles pour comprendre que sous cette forme-là, on ne peut pas gérer un pays et qu’il faut trouver, dès la mise en marche, les moyens de délégation du pouvoir susceptibles d’assurer une gouvernance à peu près efficace. C’est ce qui s’est fait par la création du Conseil permanent qui regroupe aujourd’hui 73 élus et du Conseil exécutif qui en compte 35. 

Comme on peu aisément l’imaginer, cette gouvernance en désignation – car les membres du Conseil communautaire, du Conseil permanent et du Conseil exécutif ne sont pas élus par l’ensemble du corps électoral du Pays Basque nord – demande un travail en amont pour assurer le respect de certains équilibres. Ainsi, la composition actuelle des instances dirigeantes de la Communauté d’agglomération Pays Basque est le résultat d’un dosage plus ou moins subtil entre représentants des diverses sensibilités politiques exerçant des mandats électifs, entre élus d’agglomérations à forte population et de petites ou moyennes communes, entre ressortissants des zones urbaines côtières ou péri-côtières et des territoires ruraux du Pays Basque intérieur, et aussi, mais de manière marginale, il faut bien le reconnaître, entre hommes et femmes… les premiers cités étant, nul ne s’en étonnera, surreprésentés ! 

Pour une nouvelle étape institutionnelle

Ce mode de fonctionnement, ce type de gouvernance – chacun en a sans doute conscience mais ne l’exprime pas forcément de manière claire et sans ambages au sein des élus de la CAPB et des municipalités adhérentes -, ne peut pas durer bien longtemps. Il en va de l’avenir d’un Pays Basque nord à faire face à des enjeux et à des défis toujours plus prégnants et aux conséquences que le manque de moyens pour y répondre engendrera à brève échéance… si ce n’est même qu’elle les engendre déjà ! Parmi ces enjeux, ces défis et on peut même dire ces dangers, on peut lister : l’arrivée sans discontinuer de populations allogènes peu ou pas du tout sensibles au fait basque et qui déséquilibre chacun jour davantage la réalité socio-culturelle du Pays Basque, la situation de la langue basque qui, malgré des discours lénifiants, reste toujours légalement non reconnue et en situation de minorisation voire en risque de disparition à plus ou moins long terme, la folie immobilière et la spéculation foncière qui semblent n’avoir aucune limite, les difficultés de se loger à des prix raisonnables qui affecte de plus en plus d’habitants, les situations de l’agriculture et de la pêche qui montrent des signes inquiétants, le déséquilibre démographique entre la partie côtière et l’intérieur des terres avec un double phénomène d’hypertrophie continue d’un côté et de désertification rampante de l’autre, etc. 

Il en découle l’évidence, pour ne pas dire l’impérieuse nécessité, que la Communauté d’agglomération Pays Basque évolue à brève échéance – et le mieux serait sans doute que cela se fasse pour le terme de la présente mandature – vers une institution du type ‘collectivité spécifique à statut particulier’. On remarquera peut-être que je n’emploie pas le terme de collectivité « territoriale »… car le mot de « territoire » est vraiment devenu à l’heure actuelle une « tarte à la crème » qui sert à désigner tout et n’importe quoi. Aujourd’hui le vocable « territoire » désigne les fractions des provinces historiques de la Basse-Navarre, du Labourd et même de la Soule, car le périmètre de l’ancienne Communauté de communes de Soule – et aujourd’hui celui du Pôle Soule (encore une formule frappée au coin de la technocratie !) – étaient/est amputé de 8 communes historiquement souletines. Donc, de là à imaginer que le mot « territoire » est utilisé pour escamoter les réalités et références historiques des trois provinces et de leurs différents pays ou vallées, il n’y a qu’un pas que je n’hésiterai guère à franchir…

La formule de ‘Collectivité Pays Basque à statut particulier’ pourra de toute façon se prévaloir d’un précédent, car, depuis le 1er janvier 2018, la ‘Collectivité territoriale de Corse’ est devenue tout simplement la ‘Collectivité de Corse’, institution à statut particulier englobant l’ancienne collectivité territoriale, mais aussi les deux anciens conseils départementaux de Corse-du-Sud et Haute-Corse. Cette évolution statutaire est la quatrième depuis le statut de 1982 – qui avait institué une entité régionale corse particulière séparée de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur – suivi de celui de 1992 (dit ‘Statut Joxe’), puis de celui de 2002 (résultant du ‘processus de Matignon’) et enfin du statut découlant d’une disposition particulière de la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) adoptée par le Parlement français en août 2015.

Sans revenir sur les détails de ce que furent ces différentes évolutions statutaires, il est instructif en revanche de détailler ce qu’est la structuration fonctionnelle de la Collectivité de Corse actuelle et ses compétences. Pour commencer en parlant de celles-ci, il faut préciser de prime abord que la Collectivité de Corse dispose de compétences particulières, fixées par le Code général des collectivités territoriales. En découle la compétence de cette institution dans les domaines suivants : Éducation (schéma prévisionnel des formations, construction et entretien des collèges, lycées, établissements publics d’enseignement professionnel, artistique, d’éducation spéciale, lycées professionnels maritimes, établissements d’enseignement agricole, centres d’informations et d’orientations…) / Enseignement supérieur / Culture et communication (politique culturelle, développement de la langue et de la culture corses / Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) / Transports (exploitation des transports ferroviaires, continuité territoriale avec le continent/liaisons maritimes, réseaux routier territorial, routes nationales / Gestion des infrastructures (ports maritimes, ports de commerce et de pêche, aérodromes, réseaux ferrés) / Développement économique (aides aux entreprises, tourisme, agriculture et forêts, réseau numérique à haute débit, formation professionnelle, apprentissage, insertion professionnelle des jeunes…) / Logement et foncier / Environnement (protection de l’environnement, ressources en eau, plan de gestion des déchets, programme de prospection, d’exploitation et de valorisation des ressources énergétiques locales…) /  Sport et éducation populaire (promotion des activités physiques et sportives, d’éducation et d’information de la jeunesse…).

Pour lui permettre de gérer ces divers champs d’intervention et de mettre en oeuvre les différentes politiques qui en découlent, la Collectivité de Corse dispose de huit établissements publics, à savoir : l’agence de développement économique de la Corse (ADEC) ; l’agence d’aménagement durable,  d’urbanisme et d’énergie de la Corse (AUE) ; l’office des transports de la Corse (OTC) ; l’office du développement agricole et rural de Corse (ODARC) ; l’office foncier de la Corse (OFC) ; l’office de l’environnement de la Corse (OEC) ; l’office d’équipement hydraulique de la Corse (OEHC) ; l’agence du tourisme de la Corse (ATC).

Afin de faire « tourner la machine », la Collectivité de Corse a adopté le 6 novembre 2020 son budget primitif 2020 qui atteint les 1.900.000.000 euros (1,900 Mds), soit 1.307.000.000 euros (1,307 Mds) en dépenses réelles corrigées. La répartition de ce budget 2020 s’établit à 955 millions d’€  (73 %) pour le fonctionnement et à 352 millions d’€ (27 %) pour ce qui est de l’investissement. En comparaison – mais il est vrai qu’en la matière « comparaison n’est pas raison », le budget 2019 de la Communauté d’agglomération Pays Basque s’élevait – tous budgets confondus – à 586,74 millions d’euros, dont 354,42 millions d’euros de fonctionnement et 232,32 millions d’euros d’investissement. En mettant néanmoins en regard les domaines de compétences actuelles de la Collectivité de Corse et celles de la Communauté d’agglomération Pays Basque et à l’aune de leurs budgets respectifs, on mesure toute la différence de pouvoirs  et de moyens entre les deux institutions, pour un volume de population assez proche : quelques 340.000 habitants pour la Corse (recensement INSEE 2020). Les termes de comparaison s’éloignent toutefois en ce qui concerne le nombre de communes et d’intercommunalités qui continuent à exister et à fonctionner en Corse. Ainsi, la Corse compte à ce jour 360 communes (236 en Haute-Corse et 124 en Corse-du-Sud), regroupées en 19 intercommunalités (12 en Haute-Corse et 7 en Corse du Sud. À rapporter aux 158 communes adhérentes de la Communauté d’agglomération Pays Basque et aux 10 Pôles territoriaux qui ne sont que des représentations de la CAPB, sans pouvoirs délibératifs et sans budgets propres.

 

L’Assemblée de Corse

Aux basques des corses…

Il n’est sans doute pas plus raisonnable de comparer l’hypertrophié Conseil communautaire de la CAPB – 243 élus, donc – et l’Assemblée de Corse qui est une institution délibérante composée aujourd’hui de 63 conseillers, élus à la proportionnelle à deux tours avec prime majoritaire sur scrutin de listes. Un second tour a lieu si aucune liste n’atteint 50 % des suffrages exprimés au premier tour… ce qui n’a, à vrai dire, que peu de chance de survenir ! Peuvent concourir au second tour les listes ayant recueilli au moins 7 % des voix, tandis que celles ayant obtenu au moins 5 % peuvent fusionner avec une liste déjà qualifiée. Au tour décisif (premier tour si une liste a obtenu 50 %, second tour sinon), la liste arrivée en tête reçoit automatiquement une prime de 9 sièges, alors que le reste des sièges est réparti entre toutes les listes (y compris la liste arrivée en tête) ayant obtenu au moins 5 % des voix. J’entends d’ici les autoproclamées grandes consciences se voulant plus démocratiques que tout le monde s’insurger contre ce mécanisme de ‘prime majoritaire’ en le considérant comme une distorsion de l’expression électorale… Il serait bon de leur rappeler, d’une part, qu’aucun type de scrutin ne peut se prévaloir d’être parfait et que, d’autre part, cette disposition permet de constituer plus aisément des majorités stables. Pour en terminer avec la description du système institutionnel en vigueur actuellement en Corse, les 63 conseillers de l’Assemblée de Corse élisent en leur sein un Conseil exécutif de 11 membres dont 1 président. Ce conseil exécutif est responsable dans son action devant l’Assemblée de Corse.

Il serait tout à fait raisonnable en revanche de considérer que le modèle institutionnel du Pays Basque nord puisse évoluer vers quelque chose de similaire à celui mis en place en Corse. Le niveau de population n’est pas si différent, pas plus que bien des problématiques qui se posent ici et là-bas, à commencer par celle de refléter une identité singulière et d’en assurer la pérennité et le développement harmonieux. La plupart des domaines de compétences exercées par la Collectivité de Corse devraient pouvoir l’être par une Collectivité Pays Basque à statut particulier. Il sera toutefois nécessaire de tenir compte de certaines différences socio-économiques notables, comme par exemple le fait que l’industrie et l’agriculture sont sensiblement plus développés en Pays Basque nord qu’ils ne le sont en Corse. L’activité touristique pour sa part a une importance bien plus grande en Corse que chez nous… et, partant de là, il faudra surtout veiller à ce qu’elle ne prenne pas ici une prépondérance générant un déséquilibre économique par rapport aux secteurs productifs. La Corse est clairement tributaire, pour une bonne part, de l’activité touristique et cela a  engendré bien des dérives : nombre record de résidences secondaires, secteur de la construction hypertrophié, spéculations immobilière et foncière atteignant des niveaux ahurissants, développement de véritables mafias exerçant une mainmise sur des organismes consulaires, des établissements publics, des institutions élus, des territoires entiers, avec leurs corollaires de pressions, de menaces et de violences sur des parties de la population. Autre conséquence des flux financiers liées à la prédominance de l’activité touristique et des opérations de promotions immobilières : une corruption endémique chez un certain nombre de responsables socio-politiques et administratifs… y compris dans le monde des nationalistes !

À l’exemple de la Collectivité de Corse, la mise en place d’une Collectivité Pays Basque à statut particulier nécessitera que celle-ci soit détachée à la fois de la région Nouvelle-Aquitaine et du département des Pyrénées Atlantiques… qui pour le coup devrait s’appeler ‘département du Béarn’. Elle en récupérerait les domaines de compétences nécessaires à son développement économique, social, culturel, environnemental,  ainsi que les moyens et sources de financement y afférent. Outre les produits de la fiscalité régionale et départementale correspondant au périmètre Pays Basque nord, à son volume de population et aux compétences récupérées, il faudrait qu’une Collectivité Pays Basque à statut spécifique puisse avoir les moyens juridiques de mettre en place des taxations particulières, comme par exemple une imposition sur la construction immobilière à usage touristique. Un secteur que, de toute façon, la Collectivité Pays Basque devra avoir les moyens politico-juridiques de réguler, tout comme il faudra envisager de mettre en place des mécanismes qui puissent contrebalancer les conséquences des phénomènes migratoires et de la gentrification à l’oeuvre aujourd’hui sur la côte basque et les zones péri-côtières.

Pour ce qui est de la gouvernance de cette Collectivité Pays Basque à statut particulier, là encore on pourrait se baser sur le modèle corse. L’Assemblée du Pays Basque nord / Iparraldeko Biltzarra devrait ainsi être élue au scrutin proportionnel de liste, avec prime majoritaire, et par l’ensemble du corps électoral des trois provinces historiques. On aurait peut-être pu envisager une désignation des conseillers par provinces historiques ou par périmètre des anciennes communautés de communes (aujourd’hui « pôles territoriaux » de la Communauté d’agglomération Pays Basque), avec une répartition par niveau de population, corrigée par un système de pondération pour tenir compte du déséquilibre démographique entre la Côte basque et le Pays Basque intérieur. Mais, outre le fait qu’on aurait à faire là à une autre variante d’usine à gaz, il est bien évident que le fait d’être élu par l’ensemble du corps électoral du Pays Basque nord – du moins de ceux qui voteront – est un gage d’une plus grande légitimité. Donc, ce serait le vote dans une circonscription électorale unique qui devrait permettre de choisir les conseillers de la Collectivité Spécifique Pays Basque.

Quand à leur nombre, cela relève de calculs sur lesquels je ne m’avancerai pas trop et dont les modalités devraient être déterminé par une structure ad hoc composée de responsables politiques locaux et « nationaux », de représentants de la haute administration, de juristes, mais aussi – pourquoi pas ? – de citoyens intéressés tirés au sort. En Corse, toujours pour faire référence à quelque chose qui existe, le passage d’une Collectivité territoriale de Corse cohabitant avec deux conseils départementaux, à une Collectivité de Corse tout court ayant conduit à la disparition des assemblées départementales en question, a fait évoluer le nombre d’élus à l’Assemblée de Corse de 51 à 63 conseillers. J’ignore totalement quels sont les critères qui ont prévalu pour justifier cette augmentation de la représentation élue, mais je ne peux m’empêcher de penser que l’on ait voulu « faire une petite place » à quelques uns des élus qui avaient été mis sur la touche du fait de la disparition des deux conseils départementaux… Certains – on pourrait même dire beaucoup ! – trouvaient sûrement la place très bonne et auraient peut-être exigé un lot de consolation en étant intégré en position éligible (tant qu’a faire…) sur diverses listes en lice pour l’élection à l’Assemblée de Corse.

L’évolution statutaire vers une collectivité unique Corse, si elle a conduit à la disparition des deux conseils départementaux, s’est accompagné en revanche de la création d’une structure dénommée ‘Chambre des territoires’… dont on a, à vrai dire, du mal à percevoir l’utilité ! Cette instance consultative est censée faire le lien entre les collectivités territoriales (les communes et les intercommunalités) et la Collectivité de Corse. On pourrait la définir comme une sorte de résurgence de conseil départemental…mais sans réels moyens, ni humains, ni financiers (pas de budget propre). Elle est composée de 42 membres, dont seuls 16 sont élus en tant que membres directs de cette assemblée (les représentants des communes de moins de 10.000 habitants et ceux des intercommunalités), les autres étant membres de droit (l’exécutif de la Collectivité de Corse, des représentants de l’Assemblée de Corse – dont son président – ou encore les maires des communes de plus de 10.000 habitants). L’intérêt et le rôle de cette ‘Chambre des territoires’ est à ce point discutable que son fonctionnement est des plus restreint : depuis son installation en avril 2018 à Bastia – comme une sorte de lot de consolation par rapport à l’Assemblée de Corse qui a son siège à Ajaccio -, elle ne s’est réunie que 5 fois et en présence de très peu de conseillers, tout au plus une vingtaine sur les 42 qui en sont membres… Encore heureux que les élus de ce conseil ne perçoivent pas d’indemnités à ce titre, en plus de celles liés à leur mandat de maires, de responsables d’intercommunalités ou de conseillers à l’Assemblée de Corse…
 

 

 

Repenser totalement le niveau politique local

L’évolution statutaire et institutionnelle en Corse n’a pas conduit à la disparition des communautés de communes existantes et c’est-là une différence majeure avec ce qu’il s’est passé en Pays Basque nord lors de la création de la CAPB, qui n’est jamais, il est vrai, qu’une ‘super communauté de communes’. La Collectivité de Corse – et avant elle, la Collectivité territoriale de Corse – cohabite donc avec 19 intercommunalités de territoire et cela suppose qu’il y ait une répartition des compétences et terrains d’intervention de l’une et des autres et une articulation entre leurs politiques respectives. Vu de l’extérieur, cela semble fonctionner sans trop d’anicroches et on pourrait se dire qu’en Pays Basque nord ce même schéma pourrait être appliqué. Mais cela supposerait de fait une sorte de retour en arrière avec la re-création des communautés de communes d’avant 2017 et tout un processus de répartition des compétences avec une Collectivité Pays Basque à statut particulier. Or la question à se poser est : est-ce qu’une avancée institutionnelle est véritablement compatible avec un retour en arrière, même dans une autre configuration ?

Le niveau politique local est sans doute une échelle pertinente pour un certain nombre de problématiques publiques… mais le tout serait de savoir quelle formule on adopte pour ce périmètre local et sa gestion. Arrivé à ce point de ma réflexion, je vais oser émettre des hypothèses qui me feront sans doute passer pour, sinon un hurluberlu, du moins pour un utopiste en roue libre… De mon point de vue en effet, la structuration en communes, telle qu’elle se présente aujourd’hui, doit être radicalement revue pour tenir compte des réalités et des enjeux contemporains. J’ai déjà  exprimé ici ma conviction – mais je ne dois pas être le seul à penser cela – que l’atomisation de la République française en 35.416 communes (chiffre 2020) répondait et répond toujours à la volonté de l’État centralisé de continuer à mettre en pratique l’adage « diviser pour mieux régner ». Paris a toujours tiré bénéfice de cet émiettement qui place les communes en situation à la fois de subordination par rapport aux structures de l’État et de concurrence entre elles pour la répartition des maigres subsides financiers chichement accordés par ce même État centralisé. La commune, telle qu’elle existe depuis maintenant plus de deux siècles est l’échelon premier de l’État centralisé et, par conséquent, les maires sont les tous premiers représentants de ce même État. Aussi, le fait que des abertzale aient cette ambition-là et endossent avec enthousiasme l’habit de premier magistrat d’une commune ne laissera jamais de m’étonner !… On peut comprendre que l’on puisse vouloir être utile à son village, sa collectivité, mais souhaiter devenir maire… c’est tout simplement devenir le représentant, à l’échelon local, de cet État français auquel on est censé être opposé. Cette contradiction n’a pas l’air de gêner outre-mesure certains maires étiquetés « abertzale de gauche » et on en a même vu tout récemment porter fièrement l’écharpe tricolore !… Et ceux-là ne seront pas davantage gênées aux entournures pour crier « independentzia ! » lors de l’Aberri Eguna ou à l’occasion d’une manifestation mettant en cause la politique de l’État français…

J’ai aussi du mal à concevoir que des maires, y compris « abertzale », ou même de simples habitants de petites et moyennes communes tiennent à ce point à conserver telle quelle une structure communale, en arguant de la défense de « l’indépendance » ou de la « sauvegarde de l’identité »de celle-ci. De quelle « indépendance » ou de la « sauvegarde » de quoi peut-il bien s’agir, quand on sait que pour les communes de moins de 5.000 habitants – le curseur est sans doute même à placer plus haut – 90 à 95 % des compétences sont exercées par les intercommunalités ?  À mon sens, il faudrait donc repenser le périmètre de base de la gestion locale à une échelle regroupant les communes actuelles en « bassin de vie »… bien que je n’aime pas vraiment non plus ce terme, lui aussi de connotation technocratique. Pour ce qui est de la Soule, qui est évidemment le secteur du Pays Basque nord que je connais le mieux, ces contours de nouvelles communes pourraient être calqués sur ce qu’étaient les anciennes divisions institutionnelles de la province, à savoir les secteurs de Arbailla/Arbailles, Basabürüa/Haute-Soule, Pettarra/Basse Soule. Non pas par nostalgie passéiste, mais parce que cette division spatiale répondrait, je le crois, au mieux aux problématiques et enjeux de chacun de ces secteurs.

Si dans le passé, la Soule avait été divisée ainsi, cela ne procédait certainement pas du hasard, même si la préoccupation première était alors la vie et l’organisation pastorale. Pour autant, de mon point de vue, rien n’empêcherait aujourd’hui de rattacher à une structuration en ces trois secteurs les problématiques, les enjeux, les coopérations et les solidarités du présent. Pour ce qui est du nombre de conseillers de ces nouvelles communes, on peut certes se livrer à des calculs d’apothicaires ou à de savants dosages, mais au fond la répartition la plus simple ne serait-elle pas de considérer que chaque commune antérieure dispose d’un représentant, et ce quelque soit le nombre d’habitants concernés ? C’est ainsi que fonctionne par exemple la Commission Syndicale du Pays de Soule, gérant les biens indivis de Soule (pâturages et bois), certes avec des compétences réduites.

Ainsi, un périmètre communal Arbailla/Arbailles irait depuis Aussurucq et Musculdy jusqu’à Garindein et d’Ossas-Suhare et Sauguis-Saint-Étienne à Gotein-Libarrenx, mais aussi Roquiague ; Basabürüa/Haute-Soule regrouperait les 16 communes de l’ancien Canton de Tardets, mais aussi Barcus et Esquiule, historiquement situés en Basabürü ; Pettarra/Basse-Soule débuterait à Mauléon-Licharre, jusqu’à Ainharp, Arrast-Larrebieu, Charritte-de-bas, L’Hôpital-Saint-Blaise, Lichos, Moncayolle-Larrory-Mendibieu… mais aussi Gestas, village historiquement situé en Soule mais qui est resté en dehors du périmètre de la Communauté d’agglomération Pays Basque, du fait d’être administrativement rattaché au Béarn. C’est aussi ce qui est arrivé avec Esquiule… mais en ce qui les concerne on ne saurait oublier que leur conseil municipal avait en son temps refusé la possibilité d’intégrer la Communauté de communes de Soule… d’où un certain retour de bâton institutionnel ! Ces trois nouveaux – et anciens à la fois – subdivisions administratives de la Soule dessinés ainsi avaliserait néanmoins  le fait que 6 communes historiquement souletines – et membres à ce titre de la Commission Syndicale du Pays de Soule – resteraient rattachées à la zone de Amikuze/Pays de Mixe. Faudraient-ils envisager de les rattacher à une « commune de Pettarra/Basse-Soule » en sachant que, le temps ayant fait son oeuvre, elles ont des relations (administratives, commerciales, économiques),  bien plus marquées avec la région de Saint-Palais qu’avec Mauléon-Licharre ? Je n’en suis pas sûr, tant le réalisme des situations établies prend parfois le pas sur la théorie historique…  

Pour donner une traduction en chiffres de ces « nouvelles » entités communales sorties de mon imagination (fertile, je le reconnais…), Arbailla compterait 2.823 habitants correspondant à la population cumulés de 10 communes actuelles (Pagolle restant alors rattaché à Amikuze), Basabürüa rassemblerait 3.824 habitants de 18 communes actuelles, et Pettarra, limité à 11 communes d’aujourd’hui (avec intégration de Gestas et  en tenant compte du fait que Lichos, historiquement situé en Béarn, avait rejoint la Communauté de communes de Soule en janvier 2012) atteindrait 6.433 habitants. Il est toutefois possible que le volume de population de Mauléon-Licharre – 2954 habitants, chiffre du recensement de 2017 – entraînerait un certain déséquilibre au regard des autres communes, et en ce cas il serait compréhensible que celle qui est en outre la capitale historique de la Soule reste une commune à part entière.

En ce qui concerne la « remodelage » du périmètre communal pour les autres parties du Pays Basque nord, on comprendra que mon propos restera plus prudent… Il pourrait éventuellement être envisagé de considérer comme nouvelles entités communales les délimitations des anciens cantons, tout au moins pour ce qui est des zones rurales. Cela ne serait pas moins absurde que les découpages qui ont été imaginés pour la création des nouveaux cantons résultants de la loi du 17 mai 2013 et des décrets d’application de février/mars 2014… tant il est vrai que les contours de nombre d’entre-eux n’ont d’égal en illogisme que le nom baroque qu’on leur assez souvent accolé ! Il y a là matière à soupçonner que ces nouveaux cantons ont été pensé et dessiné par des têtes d’oeuf sortis de l’ENA ou autres « Grandes Écoles » – comme le furent en 2016 les regroupements de régions – et avalisés, entre la poire et le fromage, par les ministres concernés…

 

 

 

Ce qui a été possible ailleurs peut l’être ici..

Pour ceux qui arrivés à ce point de ma réflexion – avec le mérite d’avoir tenu jusque-là ! – seraient tentés de dire que, décidément, tout ce que j’ai formulé dans la partie précédente relève de l’absurde, du loufoque , de l’inconcevable, que sais-je encore… je recommanderai de faire quelques recherches, facilitées aujourd’hui par l’internet. Ils y découvriraient que les regroupements de communes, désignés sous la dénomination ‘communes nouvelles’ sont une réalité en France et que ce processus a tendance à s’accentuer. Ainsi, 517 ‘communes nouvelles’ ont été créées en 2016 et 2017, par la fusion de 1.760 communes. Dans la majorité des cas, il est vrai, ces fusions concernaient deux communes. Les communes qui ont fusionné ressemblent aux autres communes en termes de nombres d’habitants, alors que les ‘communes nouvelles’ sont surreprésentées parmi celles comptant entre 1.000 et 10.000 habitants. Parmi ces ‘communes nouvelles’, 24 sont issues de la fusion de l’ensemble d’un EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunale)  à fiscalité propre : communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines, métropoles, syndicats d’agglomération nouvelle. Les deux fusions impliquant actuellement le plus grand nombre de communes ont eu lieu dans le Calvados et ont pris effet au 1er janvier 2016 : il s’agit de ‘Livarot-Pays d’Auge’ (fusion de 22 communes) et de ‘Souleuvre en Bocage’ (fusion de 20 communes). La troisième fusion la plus importante a eu lieu dans la Manche et a pris effet au 1er janvier 2017 : il s’agit de la commune nouvelle de La Hague (fusion de 19 communes). Source : https://collectivités-locales.gouv.fr/files/files/statistiques/bis_115_2.pdf

Donc, ce qui a été possible ailleurs devrait l’être chez nous aussi. On pourrait également regarder juste à côté, dans ce qui est aussi le Pays Basque, à savoir la Communauté Forale de Navarre. Là-bas les communes regroupant de nombreux villages ne sont pas rares. On peut citer Elizondo-Baztan qui est une municipalité regroupant 25 villages, pour une population  de 7.800 habitants, ou encore Esteribar avec 28 villages regroupés, 10 d’entre-eux étant des consejos ou municipalités déléguées, pour une population de 2.700 habitants. Mais évidemment on pourra toujours me rétorquer qu’il s’agit, en l’occurence, de contextes et d’évolutions historiques bien différents…

Dans l’intitulé de ma présente réflexion, j’ai suggéré le fait qu’une Collectivité Pays Basque à statut particulier serait en quelque sorte un « apprentissage de l’autonomie ». Cela le serait en tous cas bien plus que l’actuelle Communauté d’agglomération Pays Basque au fonctionnement si lourd et aux champs d’intervention bien trop limités, par rapport aux enjeux et aux problématiques qui se posent au Pays Basque nord. Nombre d’élus de la CAPB actuelle ont sans doute bien conscience des limites et des insuffisances de cette institution à minima et ne seraient pas opposés à une évolution vers une collectivité à statut spécifique. Ils l’avaient d’ailleurs démontré par leur soutien à la revendication d’une Collectivité Territoire Spécifique en 2013/2014. Pour l’heure, il ne faut toutefois pas en attendre davantage de leur part et imaginer qu’ils envisageraient comme concevable dans le futur une autonomie de gestion, comme celles qui existent en Polynésie ou en Nouvelle-Calédonie. Cela n’est même pas envisagé, et encore moins soutenu, par les régionalistes membres ou proches du parti étiquette, dont on peut se demander s’ils ne sont pas plus satisfaits de l’existence de la Communauté d’agglomération Pays Basque que les représentants des partis succursalistes français !  C’est qu’ils se sentent si bien, et au chaud, dans cette institution où ils occupent quelques strapontins de convenance…

Communauté d’agglomération, collectivité spécifique à statut particulier,  autonomie de gestion… la route paraît bien longue et les perspectives fort lointaines vers une autonomie réelle, dotée des compétences législatives, réglementaires et fiscales et du droit à l’autodétermination et qui s’inscrirait dans une Europe unie au sein d’un système fédéral abouti. Pour avancer dans cette direction, il faudra bien qu’émerge en Pays Basque nord un mouvement abertzale conséquent, portant un projet politique crédible, complet, et rencontrant à un moment donné l’adhésion d’une majorité de la population. Un mouvement abertzale dont – instruit par ce que l’histoire nous a démontré depuis des décennies – un des critères essentiels devra être qu’il soit politiquement et structurellement… autonome par rapport au Pays Basque sud !

 

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