ACEH: UNE AUTONOMIE AUX MAINS D’OBSCURANTISTES RELIGIEUX
La province d’Aceh, au nord-ouest de l’Indonésie, connaît la paix depuis les accords conclus il y a cinq ans – le 15 août 2005 – entre le gouvernement de Jakarta et la gerrilla indépendantiste du Gerakan Aceh Merdeka ou G.A.M (Mouvement pour un Aceh libre). Accord de paix mettant un terme à 30 ans d’un conflit sanglant – quelque 15.000 morts et 300.000 déplacés – et qui s’est prolongé par l’adoption en juillet 2006, par le Parlement indonésien, de la Loi sur le Gouvernement d’Aceh instituant une autonomie dans la province. Tout ceci serait fort bien… si ladite province autonome d’Aceh ne faisait pas régulièrement parler d’elle au chapitre de la violation des libertés fondamentales et des droits de l’homme.
Il faut savoir que de toute l’indonésie où la religion musulmane est en quasi-monopole, c’est à Aceh qu’est appliqué officiellement la Charia ou loi islamique. Et cela, non pas seulement depuis l’instauration de l’autonomie en 2006, mais quasiment des 1999-2000 par le sordide calcul du gouvernement indonésien de s’attirer les bonnes grâces des dignitaires religieux et autres fous de Dieu d’Aceh afin de contrecarrer l’influence de la gerrilla indépendantiste.
Au bout du compte, les indépendantistes – reconvertis en autonomistes gestionnaires – du G.A.M, au pouvoir aujourd’hui dans la province, appliquent un islam fondamentaliste, basé donc sur la Charia, qui régie et régente toute la vie sociale dans la province. Et, comme partout où cette interprétation obscurantiste de l’islam s’est imposé, ce sont les femmes qui en subissent les conséquences les plus terribles. Ces derniers mois, la Police de la Charia (si, si… ça existe !) pourchasse les femmes qui sortent dans la rue avec des “tenues indécentes” – c’est le terme exactement utilisé – et les obligent à revêtir une tunique islamique… en plus évidemment du port du voile intégral!
Mais ce n’est pas tout. Le Parlement local de Aceh – où les ex-indépendantistes sont majoritaires – a adopté en septembre 2009 une loi qui prévoit de punir par la bastonnade les «rapports sexuels hors mariage» et carrément de mort par lapidation la relation adultère. Les homosexuels, quand à eux, ont droit à la flagellation publique. Et tout ceci, bien sûr, en sus de l’application à tout un chacun d’un ordre moral du quotidien basé sur les préceptes islamistes les plus rétrogrades.
Alors, Aceh a beau être une autonomie, avec des compétences importantes entre les mains des dirigeants locaux, c’est avant tout un endroit où une dictature moraliste fondée sur une religion d’État sévit. Ceci démontre, à l’évidence, que se battre pour les droits nationaux de son peuple ne garantie en rien que la démocratie soit au rendez-vous d’une lutte menée avec succés.
La conclusion s’impose donc d’elle-même : il ne saurait y avoir ce que l’on appelle un peu pompeusement de «libération nationale», sans un projet de société dessinant et garantissant un modèle de société la plus libre et démocratique possible, avec des institutions les plus représentatives possibles des diverses sensibilités et opinions et avec des leviers citoyens pouvant contrebalancer, en tant que de besoin, les politiques élaborées par ces mêmes institutions. Aussi, un projet politique abertzale de gauche qui entendrait promouvoir et défendre une autonomie pour le Pays Basque nord devrait concevoir le concept de la liberté dans toute sa plénitude et dans l’ensemble des champs d’application.
Ce tableau noir d’une province d’Aceh autonome dressé, il est presque dérisoire de parler de l’étendue de l’autonomie en question. Pour information, voici toutefois les données générales de l’autonomie dont bénéfient – sans libertés sociales, rappelont-le – les habitants d’Aceh.
Autonomies et décentralisation en Indonésie
Loi nº. 32 de 2004 (complétée par la loi de 2006 pour Aceh)
La loi rappelle que l’État unitaire de la République d’Indonésie est divisé en régions consistant en (article 2, alinéa 1) : Provinces, Kabupaten (départements) et kota (villes), chaque unité ayant son gouvernement régional, chaque région étant pourvue d’une administration régionale constituée par le chef de l’exécutif régional et l’assemblée régionale (article 3, alinéa 1).
Elle rappelle également (article 10) que les domaines relevant du gouvernement central sont :
- La politique étrangère
- La défense
- La sécurité
- La justice
- La monnaie et la fiscalité
- La religion.
L’autonomie régionale est définie comme étant «le droit, l’autorité et l’obligation pour une région autonome de régler et de gérer elle-même les affaires de gouvernement et les intérêts de la population locale, selon sa propre initiative sur la base des aspirations de la population dans le système de l’Etat unitaire de la République d’Indonésie» (article 1, alinéa 6).
Les régions ont obligation de prendre en charge à leur niveau (article 13) :
- Le développement régional
- L’aménagement du territoire
- Le maintien de l’ordre et la tranquillité publique
- La mise en place d’équipements et d’infrastructures publics
- La santé
- L’éducation
- Les questions sociales
- L’emploi
- Le développement des coopératives et des PME
- L’environnement
- Les questions foncières
- Les questions de population et l’état-civil
- L’administration générale.
La loi rappelle que le pouvoir exécutif régional est détenu par un « chef de région » (kepala daerah, article 1, alinéa 4), un gouverneur pour les provinces, un bupati pour les kabupaten, un wali kota ou maire pour les villes. Chaque gouverneur, bupati et maire est respectivement secondé par un vice-gouverneur, un vice-bupati et un vice-maire. Chaque binone de gouverneur et vice- gouverneur, bupati et vice-bupati et maire et vice-maire, est élu au suffrage direct (article 24).
L’initiative de la destitution d’un chef de région ou d’un vice-chef revient à l’assemblée régionale correspondante, qui émet un avis après séance plénière. L’avis de ladite assemblée représentative régionale est soumis au président de la République sous forme de décision de la Cour Suprême (article 29).
L’assemblée régionale a une fonction législative, budgétaire et de surveillance. Elle vote des règlementations régionales (article 41). Le nombre de membres, élus au suffrage direct, va de 45 à 75 pour un kabupaten et de 20 à 35 pour une ville (article 51).
Données générales sur Aceh
La province d’Aceh – nom officiel : Nanggroe Aceh Darussalam – comprend le nord de l’île de Sumatra et quelques îles de moindres dimensions. Depuis 1999, beaucoup de nouveaux kabupaten (départements) ont été créés. Aceh comprend désormais 18 kabupaten et 5 kota (villes).
Superficie : 55.392 km2
Population totale (2 000) : 3.930.905 hab.
Capitale : Banda Aceh 219.000 habitants (2000).
Parlement autonome : Aceh Parliament (DPR Aceh) ou Conseil législatif d’Aceh, 69 membres. Force politique majoritaire : Partai Aceh ou Parti Aceh, héritier du G.A.M. (46,9 % des voix et 33 sièges aux élections d’avril 2009).
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