ARCHITECTURES INSTITUTIONNELLES DANS L’UNION EUROPEENE

europe-peuples-minoritesA l’heure où le ‘Comité pour la réforme des collectivités locales’, installé le 22 octobre 2008 et chargé de « réfléchir à une nouvelle organisation territoriale de la France » s’apprête à rendre son rapport à Nicolas Sarkozy, il nous a paru important de faire un tour d’horizon des architectures institutionnelles dans l’Union européenne.

Rappelons que les objectifs fixés par le Président de la République française à ce comité présidé par Edouard Balladur sont les suivants : simplifier l’architecture institutionnelle ; clarifier les compétences ; maîtriser les dépenses des collectivités ; réformer la fiscalité locale. En tous ces domaines, il y a urgence pour la France à mener des changements de grande ampleur, car le mille-feuilles institutionnel décidé et mis en oeuvre au coup par coup depuis Paris a conduit à ce qu’il faut bien appeler une usine à gaz.

La question est de savoir si le comité de réflexion et de proposition aura la lucidité et le courage politique nécessaires pour tourner la page des féodalités locales, départementales, régionales ou si, comme pour le précédent ‘Comité de réfléxion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République’, également présidé par Edouard Balladur et qui avait rendu ses conclusions fin octobre 2007, on en restera à des demi-mesures.

En attendant d’être fixé, nous publions ce texte qui est éclairant à plus d’un titre sur ce qu’on peut appeler «l’exception française». Il permet de se rendre compte combien le «modèle» français, basé sur la préeminence de l’Etat central est totalement inadapté à un fonctionnement hamonieux, efficace et démocratique des institutions communautaires. La ‘commission Balladur’ qui devrait rendre ses conclusions ce mois de mars aura-t’elle le courage politique de préconiser une simplification du mille-feuilles institutionnel français qui s’articulerait avec un véritable pouvoir de décision et une autonomie fiscale réelle des collectivités publiques régionales et locales ? On peut légitimement en douter quand on sait quel est, dans le système institutionnel français, le poids des féodalités locales. Cette situation démontre aussi combien il est plus facile de contruire une usine à gaz que de la démanteler. Sauf que si on ne le fait pas à temps, tout risque d’exploser un jour…

TYPOLOGIE DE LA DECENTRALISATION EN EUROPE

Introduction

1. Qu’est-ce que la décentralisation ?

La décentralisation est un transfert de compétences de l’Etat à des institutions distinctes de lui : les collectivités locales. Celles-ci bénéficient d’une autonomie de décision plus ou moins poussée selon les pays, et de leur propre budget (c’est le principe de la libre administration), sous le contrôle d’un représentant de l’Etat (l’autorité de tutelle). La décentralisation s’accompagne d’un processus de déconcentration, qui consiste en une délégation de compétences à des agents ou organismes locaux, qui relèvent de l’administration d’Etat. A la différence de la décentralisation, ces agents locaux sont soumis à l’autorité de l’Etat et ne disposent d’aucune autonomie.

2. Pourquoi la décentralisation ?

Il s’agit de renforcer la démocratie par une plus grande proximité entre les gouvernants et les gouvernés. On peut considérer que la décentralisation correspond à une volonté de développer la démocratie de proximité.

3. Pourquoi y a-t-il plusieurs types de décentralisation ?

La diversité des expériences de décentralisation est liée à l’histoire, à la culture politico- administrative, à l’économie et à la sociologie des Etats. Elle est également liée, pour partie, à la superficie et à la population des différents pays.

Cette communication a pour objet de regrouper les processus de décentralisation à l’œuvre dans les vingt-sept Etats de l’Union européenne en grandes catégories ou, pour reprendre l’expression de Max Weber, en « types idéaux ».

Dans un premier temps, la situation des Etats unitaires sera présentée en trois grandes catégories : les pays à un niveau de collectivité locale, puis les pays à deux niveaux et enfin les pays à trois niveaux de collectivité locale. Dans un second temps, les Etats fédéraux de l’Union européenne seront analysés.

L’organisation territoriale des collectivités locales dans les vingt-sept Etats de l’Union européenne se caractérise par une très grande diversité de configurations. Les Etats unitaires sont au nombre de vingt-quatre et l’Union compte trois Etats fédéraux. Dans les Etats unitaires, la souveraineté se situe au niveau de l’Etat, qui peut être plus ou moins centralisé ou décentralisé, et plus ou moins déconcentré. Dans les Etats fédéraux, la souveraineté est

partagée entre la Fédération et les Etats fédérés.

I.LES ETATS UNITAIRES DANS L’UNION EUROPEENNE

I.1. Les Etats unitaires à un niveau de collectivités locales

L’Union européenne compte neuf Etats unitaires, soit un tiers du total, à un niveau de collectivité locale. Il s’agit de :

– la Bulgarie,

– Chypre,

– l’Estonie,

– la Finlande,

– la Lituanie,

– Luxembourg,

– Malte,

– le Portugal,

– la Slovénie.

Dans ces Etats, les communes sont, en majorité, de petite taille. Elles disposent de nombreuses compétences, mais dans certains cas ne disposent pas de ressources financières suffisantes, notamment en Estonie, en Lituanie ou à Malte. En Slovénie et en Finlande, la démocratie participative est particulièrement ancrée dans la réalité locale. Pour les nouveaux Etats membres, entrés dans l’Union au 1er mai 2004, une distinction est faite entre communes rurales et communes urbaines. Une tendance à la régionalisation (qui a échoué au Portugal lors du referendum de 1998) s’opère, notamment en Lituanie et en Slovénie. Elle pourrait se traduire par l’apparition d’un

niveau départemental ou régional.

Parmi ces neuf Etats, six d’entre eux ont rejoint l’Union européenne lors des deux derniers élargissements de 2004 et 2007 : la Bulgarie, Chypre, l’Estonie, la Lituanie, Malte et la Slovénie.

I.2. Les Etats unitaires à deux niveaux de collectivités locales

L’Union européenne compte onze Etats ayant deux niveaux de collectivités locales :

– le Danemark,

– la Grèce,

– la Hongrie,

– l’Irlande

– la Lettonie,

– les Pays-Bas,

– la République tchèque,

– la Roumanie,

– le Royaume-Uni,

– la Suède,

– la Slovaquie.

Ces onze Etats ont des caractéristiques assez variées. Ainsi, les collectivités locales en Suède disposent de l’autonomie la plus étendue et des plus grandes compétences, notamment dans le domaine social. Les Pays-Bas ont un système de cogestion qui oblige les collectivités locales à coopérer entre elles et avec l’Etat. Le Royaume-Uni constitue un cas particulier puisque, d’une part, l’organisation territoriale diffère selon les zones géographiques en Angleterre et que, d’autre part, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du nord sont dotées, depuis 1997, de parlements ou d’assemblées régionales élues au

suffrage universel et d’exécutifs autonomes. Le Danemark se différencie par une tradition de participation des citoyens à la prise de décision locale. De nombreuses réformes sont actuellement en cours : le développement de

l’intercommunalité en République tchèque et en Lettonie, ou encore la mise en place d’un niveau régional en Hongrie.

Quatre nouveaux Etats membres ayant adhéré en 2004 à l’Union européenne figurent dans cette catégorie : la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie et la Slovaquie. On notera également la situation des Etats du Nord de l’Europe, le Danemark, les Pays- Bas, le Royaume-Uni et la Suède caractérisés par une autonomie locale très ancienne et très forte et par une organisation en comtés et en districts, n’envisageant un niveau régional que comme niveau déconcentré de planification économique et d’aménagement du territoire. Le Royaume-Uni constitue une exception, avec les trois régions mentionnées

plus haut : Ecosse, Pays de Galles et Irlande du Nord.

I.3. Les Etats unitaires à trois niveaux de collectivités locales.

Quatre Etats sont organisés en trois niveaux de collectivités locales :

– l’Espagne,

– l’Italie,

– la France,

– la Pologne.

Dans ces Etats, la commune demeure un échelon décentralisé particulièrement important. Modèle de décentralisation, l’Espagne est au premier rang des pays les plus décentralisés en Europe. Elle est organisée, depuis la Constitution de 1978, en 8106 communes, 50 provinces et 17 Communautés autonomes. Chaque Communauté autonome dispose d’un statut d’autonomie, d’un Parlement régional et d’un exécutif régional. Les « régions historiques », la Catalogne, le Pays Basque et la Galice, disposent d’une autonomie plus

poussée et notamment de moyens financiers plus importants. Les Communautés autonomes exercent un pouvoir hiérarchique sur les provinces et les communes.

La France fait figure d’exception avec ses 36 782 communes, ses 100 départements et ses 26 régions, dont 4 régions d’outre-mer. Les régions sont les structures les plus jeunes et n’ont accédé au statut de collectivités décentralisées qu’en 1986, avec les premières élections régionales au suffrage universel. Elles n’exercent pas de pouvoir hiérarchique sur les départements et les communes. La taille très petite des communes explique la très

importante montée en puissance des établissements publics de coopération

intercommunale (EPCI), qui atteignent près de 2500 unités et couvrent désormais pratiquement l’ensemble du territoire. Les départements, clé de voûte de la décentralisation sous la Troisième et la Quatrième République, se trouvent aujourd’hui en situation de concurrence avec les régions. La Commission Balladur, mise en place en octobre 2008, devra remettre son rapport au début de l’année 2009 et faire des propositions afin de clarifier le processus de décentralisation, devenu au fil des années souvent illisible par les citoyens qui se sentent perdus devant l’extrême multiplication et l’imbrication des échelons politico-administratifs. Le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales est exercé, a posteriori, par le préfet et le contrôle financier est exercé par les chambres régionales des comptes.

L’Italie est souvent présentée, comme l’Espagne, sous le nom d’Etat régionalisé. Elle compte 8100 communes, 103 provinces et 20 régions, dont 15 à statut ordinaire et 5 à statut spécial (Vallée d’Aoste, Trentin Haut Adige, Frioul-Vénétie-Julienne, Sardaigne et Sicile). Le mouvement de décentralisation s’est traduit, au fil des années, par un accroissement des pouvoirs des régions et la modification de la Constitution en 2001, approuvée par référendum, a réaffirmé le principe de subsidiarité. Les réformes en cours

autorisent à penser que l’Italie se dirige vers une certaine fédéralisation de l’Etat.

La Pologne, entrée en 2004 dans l’Union européenne, compte 16 régions (voïévodies), 373 départements (powiats) et 2489 communes. Anciennement très centralisée, elle connaît une évolution à la française, avec la montée en puissance, après la chute du Mur de Berlin, des régions, compétentes en matière de culture, de transports, de santé, d’aménagement du territoire et d’environnement. L’assemblée régionale (diétine) est élue au suffrage universel et élit son exécutif. Le préfet (voïévode) incarne le pouvoir déconcentré et contrôle la légalité des actes votés par les collectivités territoriales.

II. LES ETATS FEDERAUX DANS L’UNION EUROPENNE

L’Union européenne comprend trois Etats fédéraux :

– l’Allemagne,

– l’Autriche,

– la Belgique.

La République fédérale d’Allemagne compte 16 Etats fédérés (Länder), 323 arrondissements (Kreise) et 14.808 communes. Avant la réunification de 1990, elle comptait 11 Länder et les 17 districts de l’ancienne République démocratique allemande (RDA) ont été redécoupés en 5 nouveaux Länder, tels qu’ils existaient avant la deuxième guerre mondiale. Les Länder sont

dotés d’une constitution, d’un parlement, d’un gouvernement et d’un appareil judiciaire. Ils disposent d’une assemblée délibérante, élue au suffrage universel direct, qui élit un exécutif avec, à sa tête, un Ministre-président. Ils participent au processus de décision fédéral par l’intermédiaire du Sénat (Bundesrat) qui examine tous les projets de loi modifiant la Constitution, ou concernant les finances, la souveraineté ou le découpage des Länder. Leurs

compétences exclusives concernent principalement la politique de l’éducation et de la culture, la radio et la télévision, les affaires communales, la police, et la voirie.

L’Autriche compte 9 Etats fédérés (Länder), qui sont administrés par des gouvernements régionaux (Landesregierung) et des diètes régionales (Landtag). Comme en Allemagne, la Constitution confie aux Länder la gestion de tous les domaines qui ne sont pas du ressort exclusif de la Fédération. Les districts autrichiens sont de simples déconcentrations de l’administration publique, mais 14 communes autrichiennes, pour la plupart des villes de grande taille, sont dotées d’un statut propre qui leur permette d’accomplir également les tâches relevant du district. Il y a 2359 communes en Autriche, et la capitale, Vienne, est en même temps, commune et Land. La création de structures intercommunales s’est particulièrement développée au cours des dernières années et devrait se poursuivre dans l’avenir.

La Belgique est devenue un Etat fédéral en 1993, après de multiples réformes de décentralisation engagées au début des années 1970. A la différence de l’Allemagne et de l’Autriche, le fédéralisme en Belgique est original et innovant, afin de tenir compte, et si possible résoudre les antagonismes très forts qui opposent la Flandre au nord et la Wallonie au sud, et de donner un statut à la capitale Bruxelles, ville francophone en territoire flamand. A cet effet, l’Etat fédéral belge est doté de deux catégories d’Etats fédérés, les régions et les communautés.

L’Etat fédéral belge compte trois régions : la région flamande, la région wallonne et la région Bruxelles-Capitale, et trois communautés : la communauté flamande, la communauté française et la communauté germanophone. Les régions sont compétentes en matière de développement économique, d’aménagement du territoire, d’environnement, de rénovation

rurale et de politique de l’eau. Ce sont des compétences liées au territoire. Les communautés sont compétentes en matière d’enseignement et de politique scientifique, de politique sociale et de politique culturelle, principalement en ce qui concerne l’emploi des langues pour les matières administratives, l’enseignement, les relations entre employeurs et leur personnel. Ces

compétences portent donc sur les matières «personnalisables». La Belgique compte 10 provinces, cinq flamandes et cinq vallons, et 589 communes.

Conclusion

L’Union européenne est caractérisée par une grande diversité d’expériences et de processus de décentralisation, ce qui s’explique aisément si l’on tient compte des différences considérables de taille, de population et de développement économique des 27 Etats membres. Mais cette diversité s’explique surtout par le fait que chaque Etat a sa propre conception de

son organisation politique et administrative. La décentralisation n’est pas figée, mais continuellement en mouvement, ainsi que le montrent les différents exemples présentés ici.

La construction européenne, ses différentes institutions, le Conseil européen, la Commission européenne, le Parlement européen oeuvrent depuis de longues années pour un approfondissement de la décentralisation en Europe. Les différents élargissements réalisés depuis les années 1970 et jusqu’au dernier élargissement du 1er janvier 2007, ont apporté des particularités essentielles en matière de décentralisation avec les traditions des pays de l’Europe du Nord, celles des pays de l’Europe de l’Est et celles aussi des pays de l’Europe du

Sud. Le Comité des régions, créé par le Traité de Maastricht, est pour partie l’expression de cette volonté d’approfondissement et de renforcement de la décentralisation en Europe.

Une décentralisation très poussée dans les Etats unitaires, comme en Espagne ou en Italie, peut renforcer les identités culturelles et linguistiques, sans pour autant mettre en cause l’unité de l’Etat. On retrouve cette caractéristique au Royaume-Uni. Dans d’autres Etats, comme en Belgique, le fédéralisme a permis d’éviter, jusqu’aujourd’hui, un éclatement du Royaume. C’est dire qu’il n’y a pas de recette magique ni de solution univoque dans ce domaine, mais bien la volonté de renforcer la démocratie locale et régionale pour rapprocher le citoyen du processus de décision.

Source : Ce texte est celui d’une des conférences du séminaire intitulé : « Régions, décentralisation et coopération internationale », qui s’est déroulé à Kinshasa (République Démocratique du Congo), le 3 novembre 2008.

L’auteur : Pierre Kukawka est directeur de recherche honoraire à la Fondation Nationale des Sciences politiques, chercheur au CERAT (Centre de Recherche sur le Politique, l’Administration, la Ville et le Territoire), à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble. Il est spécialiste du développement territorial et du rôle des régions en France et en Europe. Il est l’auteur, entre autres, de : « LEurope par les régions », Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2001.

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