L’ETAT FEDERAL BELGE
La Belgique fait régulièrement la Une de l’actualité politique internationale à travers les crises institutionnelles à répétition dont elle est coutumière. Comment pourrait-il en être autrement, s’agissant d’une construction étatique encore plus artificielle que la France – ce n’est pas peu dire … –, et donc la création relevait des sordides calculs stratégiques de grandes puissances de l’époque ? Le mal vivre de la Belgique démontre aussi que le système fédéral ne peut pas faire de miracles et que le vivre ensemble, s’il est certes souhaitable, doit reposer sur la justice et la libre acceptation. Au delà du cas des Etats-nations qui se sont constitués par la force ou la tromperie et en bafouant les droits des peuples, la réflexion sur les conditions – politiques, institutionnelles – du vivre ensemble dans une Europe unie doit aussi guider le(s) projet(s) abertzale. Les deux textes que nous vous proposons cette semaine voudraient participer de cette nécessaire réflexion.
Fédéralisme à la Belge : le début de la fin ?
Par Bénédicte de Beys, des «Euros du village» – samedi 25 août 2007
Fédérale pour certains, déjà confédérale dans sa logique pour d’autres, la Belgique est un pays dont la structure constitutionnelle suscite de nombreuses interrogations. Comment, en effet, se retrouver parmi les avancées, ou errances, constitutionnelles de ce petit pays méconnu ?
Comment ne pas ignorer les tensions qui traversent ce royaume et l’acharnement qu’il met à les résoudre, pacifiquement, par des négociations «communautaires», au cours desquelles l’Etat ne se retrouve parfois même plus représenté, alors qu’il s’agit bien de ses fonctions qu’on lui retire pour en rendre compétentes ses composantes ?
Comment croire en un futur pour ce pays qui donne souvent l’impression de vivoter politiquement dans une impasse, depuis trop longtemps pour que sa population en vienne à le réaliser, faute de réagir ?
La Belgique est configurée selon un système fédéral, original et complexe. Afin de le cerner en profondeur, nous ponctuerons notre exposé de références à l’histoire de la Belgique et à la Constitution belge dont les remaniements successifs attestent des tribulations constitutionnelles du pays.
Un Système fédéral original et complexe. La Belgique, aujourd’hui
Avant toute chose, il nous faut rappeler, aux personnes peu au fait des spécificités belges, que la Belgique reconnaît trois langues officielles : le flamand, le français, et l’allemand. Ces divisions linguistiques permettent d’identifier ce qui est nommé par la Constitution belge : régions linguistiques.
Les régions linguistiques sont de simples circonscriptions administratives, zones spatiales qui délimitent le champ d’application des lois linguistiques et des actes législatifs des entités fédérées, les décrets. Les régions linguistiques sont au nombre de 4 :
• la région de langue française, qui représente 32% de la population belge ;
• la région de langue néerlandaise, qui représente 57,9% de la population belge ;
• la région de langue allemande, qui représente à 0,7% de la population belge ;
• la région bilingue de Bruxelles capitale, qui représente 9,4% de la population belge.
Le régime fédéral fut consacré par la Constitution belge de manière explicite en 1993, ce qui mit définitivement un terme au régime unitaire belge proclamé par cette même Constitution dès l’indépendance de la Belgique en 1830. Mais les premiers signes de désunion et les premiers pas vers un système fédéral datent d’époques largement antérieures.
Les origines du mal : dès la naissance
Certains auteurs situent avec raison les origines du mal dès la naissance de la Belgique apparue comme un accident de l’histoire. En 1830 les Belges se rebellent contre le joug hollandais qu’on leur avait imposé au Congrès de Vienne en 1815. Une insurrection nationale éclate et fait fuir en quatre jours les troupes de Guillaume 1er. «Les Flamands vivent la création de la Belgique comme une catastrophe. Et les Wallons n’ont accepté l’indépendance que parce qu’on leur refusait la réunion à la France».
Ainsi naît un pays qui mettra plus d’un siècle à reconnaître et gérer sa diversité. Si la Constitution proclame la Belgique un royaume uni et tous les Belges égaux devant la loi, celle-ci ne sera traduite en flamand qu’en 1967 et en allemand en 1991, en résultat du combat mené par ces populations pour la reconnaissance de leur langue maternelle. Là réside certainement le cœur du problème belge alimenté encore par des rancoeurs historiques nées de la reconnaissance tardive de ses composantes autres que francophones.
La Région Wallonie
Tout au long des la révolution industrielle, la bourgeoisie francophone fut dominante par rapport à la paysannerie flamande et les flamands maintenus à l’écart du politique.
Au sortir de la première guerre mondiale, à Gand, Bruges, Anvers ou Courtrai, seuls les gens du peuple parlent le flamand, interdit dans l’enseignement dispensé en français, langue d’élite sociale, signe de haute éducation, le “patois” local étant défendu même à la récréation, sous peine de sanction.
Avant qu’éclatent ses tensions communautaires, la Belgique connaît une époque prospère, âge d’or qui lui permettra de longtemps maintenir son unité.
Mais les revendications politiques latentes deviennent rapidement actives, comme l’annoncent en 1968 les mises à sac d’auditoires et les slogans de jeunes étudiants flamands qui crient « Wallen buiten ! » (« les Wallons dehors ! ») et réclament la flamandisation intégrale de l’université de Louvain. Épisode traumatisant de l’histoire belge, les francophones sont alors contraints de déménager leur enseignement en Wallonie et de recréer une toute nouvelle ville universitaire francophone, nommée Louvain-la-Neuve, qui coûtera quelques dizaines de milliards de francs belges.
Tensions communautaires et fédéralisation du pays
En 1970, les revendications flamandes d’autonomie culturelle s’affirment et comme première étape sont créés les conseils culturels, embryons parlementaires, sur la base desquels se créeront plus tard les Communautés flamande, française et germanophone de Belgique. Les Communautés correspondent donc à une dimension politique culturelle, née d’un besoin de reconnaissance et d’autonomie flamande. Aujourd’hui, elles sont essentiellement compétentes pour l’emploi des langues (sauf à Bruxelles), les matières personnalisables, et l’enseignement.
Parallèlement à ces conseils de Communautés qui rapidement s’autoproclameront Parlement, un autre mouvement voit le jour du côté wallon francophone, répondant davantage à des besoins de nature économique, mouvement qui sera lui aussi à l’origine d’un deuxième genre d’entités fédérées, les Régions wallonne, flamande et de Bruxelles-capitale.
Les Régions sont compétentes pour des matières diverses allant de l’aménagement du territoire à l’agriculture et autres attributions de compétences jonglant entre les compétences parallèles, implicites, ou accessoires, qui font des juges constitutionnels belges de la Cour d’arbitrage de Belgique des arbitres chevronnés des litiges répartitifs de compétences entre les différentes entités fédérale et fédérées du Royaume.
On ne peut manquer de souligner, l’importance des questions économiques belges dans les développements fédéraux du pays. Au clivage linguistique et culturel du pays, se superpose une donne économique que l’on tend à voir comme désastreuse en Wallonie et florissante en Flandre, alors qu’historiquement les francophones pouvaient appuyer leur politique sur une économie wallonne bien portante mais qui connu un important déclin économique à la suite de la fermeture des sites de charbonnages.
Aujourd’hui, la situation est donc celle d’une Wallonie à la traîne devant une Flandre qui voudrait s’en délester afin de ne plus financer, au nom de la solidarité nationale, ses retards économiques. Ce qui sur le plan politique se traduit par des revendications d’indépendance accrue ou de totale scission, notamment au niveau de la sécurité sociale.
Le délicat et éternel problème de Bruxelles
Comme nous l’avons déjà mentionné, le système fédéral est très complexe et notamment en raison du fait que coexistent en Belgique deux types différents de Collectivités politiques fédérées, à savoir les Communautés et les Régions, obéissant à des découpages géographiques différents qui ne se correspondent pas, parfois s’englobent, parfois se chevauchent surtout en raison du délicat et éternel problème de Bruxelles.
La région ’’Bruxelles-capitale’’
Bruxelles est une région en soi, la Région de ’’Bruxelles-capitale’’, à large majorité francophone, sise en pleine Région flamande, mais sur laquelle les deux Communautés exercent chacune leurs compétences par un système ingénieux salué pour la grande liberté d’appartenance communautaire qu’il laisse aux citoyens bruxellois.
En effet, les communautés ne s’adressent pas en soi aux citoyens mais aux institutions qui, en matière d’enseignement, se rattachent à l’une ou l’autre communauté selon leurs activités, ou qui, en matières personnalisables, se rattachent à l’une ou l’autre communauté selon leur organisation.
Pour les institutions qui ne se rattacheraient ni à l’une ni à l’autre communauté, une Commission Communautaire Commune existe avec compétence législative de manière à les prendre en charge. Afin de peut-être davantage compliquer le tableau pour le lecteur en prise avec les réalités belges, il nous faut encore mentionner l’existence de deux autres commissions communautaires, flamande et française.
Bruxelles est une véritable merveille d’ingéniosité fédérale, de compromis et de poudrière nationaliste. La Belgique pourrait répondre des même qualificatifs. De tensions nationalistes à communautaires, il n’y a parfois qu’un pas que les mouvements politiques flamands et francophones sont souvent à la limite de franchir, en dehors même du parti extrémiste flamand, le Vlaams Belang crédité d’importants suffrages dans certaines villes flamandes ou du Front National francophone.
Une vie politique déchirée
En réalité, la vie politique belge est faite d’actes délibérément communautaires qui entretiennent les tensions et les débats communautaires en continu, avec comme point culminant les fins de législatures qui correspondent en Belgique avec les déclarations de révisions constitutionnelles annonciatrices des futures avancées constitutionnelles, ce qui en Belgique signifie approfondissement de la logique fédérale ou séparatiste.
Les actes à fortes connotations communautaires se traduisent souvent par de simples décisions politiques de subventions, de choix de dates commémoratives de batailles moyenâgeuses où le duc de Flandre bouta les français dehors (la bataille des éperons d’or de 1302, jour de fête de la Communauté flamande, avec pour réplique du côté francophone, le choix du jour où les Hollandais furent bannis de Bruxelles en 1830).
Il s’agit encore de décisions instaurant ce que l’on pourrait appeler des sortes de «brimades» administratives pour les francophones vivant en périphérie bruxelloise dans des communes à majorité francophone (communes dites «à facilités») qui voient tous les actes de leur autorité communale adressés en leur endroit en flamand à la suite d’une simple décision ministérielle, ou enfin, pour reprendre un exemple d’actualité récente, la décision de n’accorder de logements sociaux en Flandre qu’aux demandeurs, y compris belges, attestant d’une bonne connaissance du Flamand.
Un avenir incertain
Il est difficile dès lors de prévoir l’avenir de la Belgique et toutes les conjectures les plus pessimistes semblent pour certains politiciens et constitutionnalistes avoir obtenu droit de cité.
Reste à se poser la question de la population belge, du peuple belge, qui semble si fragmenté entre Wallons, Flamands de Flandre, Bruxellois francophones, Bruxellois néerlandophones, Germanophones, qui chacun disposent d’une représentation politique propre.
Il n’y a pas en Belgique un média ou un parti politique belge, mais seulement flamand et francophone, et les tentatives d’union, à part l’exemple notoire de la monarchie de plus en plus remise en question, semble dérisoires.
Cependant, une remarque optimiste et positive mérite d’être faite, à savoir que la voie de la négociation et du compromis a toujours été privilégiée. Et que rares ou inexistants ont été les mouvements ou émeutes au sein d’une population qui, malgré beaucoup de différences, tend à se reconnaître comme belge avec, dans son ensemble, une certaine spécificité belge : remarquable depuis toujours, notamment au travers de ses productions artistiques et littéraires.
L’auteur : Bénédicte de Beys est diplômée en droit des Facultés Universitaires Saint-Louis (Bruxelles), licenciée en droit de l’Université catholique de Louvain où elle également obtenu un Master d’études européennes, après un échange au Center for European Studies de Cracovie, en Pologne. Elle est actuellement collaborarice du cabinet d’un député du parlement bruxellois. Elle est enfin memmbre de la rédaction francophone du très intéressant site internet ‘Euros du village’ www.eurosduvillage.eu/ où elle a publié l’article que nous avons reproduit ci-dessus.
Belgique : le système politique
La Belgique est composée de 3 communautés (française, flamande, germanophone) et de 3 régions (Wallonie, Flandre, Bruxelles-Capitale), formant un Etat fédéral de 10,5 millions d’habitants. Certaines dispositions garantissant l’équilibre linguistique et/ou institutionnel au sein de certaines zones géographiques ont été sciemment omises, ce afin d’éclaircir le propos.
D’après SPF Economie, la valeur du PIB/habitant était en 2005 de 45.000 euros pour la région Bruxelles-Capitale, 27.300 pour la région Flandre et 19.800 pour la région Wallonie. Le chômage, exprimé en pourcentage de la population active, était, en 2006, de 5,2% en Flandre, 11,8% en Wallonie et 17,7% à Bruxelles-Capitale.
Gouvernement :
Le Roi désigne le Premier ministre en fonction du résultat des élections législatives fédérales. Le gouvernement est traditionnellement un gouvernement de coalition constitué d’au moins deux partis de même tendance, en Flandre et en Wallonie.
Assemblées législatives fédérales (système bicaméral) :
– Chambre des Représentants : elle compte 150 députés, élus directement.
– Sénat : il compte 72 membres, dont 40 élus directement, répartis en trois catégories (sénateurs cooptés, sénateurs de droit et sénateurs communautaires).
Sénateurs et députés sont élus pour quatre ans.
Assemblées législatives des Régions et Communautés (système monocaméral) :
– Conseil flamand : il représente l’assemblée de la région et de la communauté flamande. 118 de ses 124 membres sont élus directement, les 6 autres étant désignés parmi les élus présents sur les listes électorales flamandes du Conseil de Bruxelles-Capitale.
– Conseil wallon : il est l’émanation législative de la Région wallone et compte 75 membres, tous élus directement.
– Conseil de la Communauté française : il résulte d’élections d’autres assemblées et se compose des 75 membres du Conseil wallon et de 19 autres conseillers appartenant au groupe linguistique français du Conseil de Bruxelles-Capitale.
– Conseil de la Communauté germanophone : il compte 25 membres, tous élus directement.
– Conseil de la Région Bruxelles-Capitale : il compte 75 membres, tous élus directement.
Toutes les élections pour les Conseils cités ci-avant se déroulent en même temps que les élections européennes, les conseillers étant tous élus pour cinq ans.
Mode de scrutin et circonscriptions électorales :
Les représentants sont principalement élus par suffrage universel direct à un tour et à la proportionnelle. Une partie des sénateurs fait exception à cette règle, tout comme les membres du Conseil de la Communauté française, lesquels ne sont pas élus directement. Enfin, les élections présentent un caractère obligatoire.
Tout comme le nombre d’élus à élire par circonscription, le découpage des circonscriptions est défini par la loi et peut varier suivant les élections.
Partis politiques :
Les électeurs votent sur des listes électorales multilingues. Les grandes familles politiques belges sont divisées en partis liés aux communautés linguistiques dominantes, comme par exemple le parti démocrate-chrétien flamand le CD&V et le parti démocrate wallon le CDH.
Source : www.politique.com.
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