NI ESPAGNOL, NI FRANCAIS

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C’est pour le plaisir de relayer sur notre nouveau blog cette vidéo à la portée universelle que je publie cette note. Oui, les Basques ne sont ni français ni espagnols, c’est ce qu’affirmait déjà ce joli petit film aujourd’hui devenu document historique. Incontestablement, Orson Welles, un des plus grands cinéastes du monde, a su aller à la rencontre de notre peuple qui chantait et dansait alors si joyeu- sement au pied des Pyrénées. Il y a plus de 50 ans…

Xan ANSALAS

ET LE CIEL S’ASSOMBRIT …

éditorial d’Ekaitza n° 1076

L’arrivée de Sarkozy à la tête de l’Etat français est, à n’en pas dou- ter, une très mauvaise nouvelle pour celles et ceux qui ici comme ailleurs souffrent des conséquences du libéralisme. Sarkozy a bien des défauts, mais il ne peut lui être reproché d’avancer masqué. Voilà des années maintenant que cet homme fait l’apologie de la pire des violences, celle des prédateurs financiers, ceux pour qui seul compte le profit. A tous prix. Au prix du déséquilibre écologi- que de la planète. Mais aussi au prix de l’exploitation éhontée de continents sacrifiés, de peuples crucifiés sur l’autel du rendement économique le plus poussé.

Sarkozy est l’homme de tous les dangers.

Dire que la situation des basques d’Iparralde (les 3 provinces bas- ques sous juridiction française) est le moindre des soucis de Sar- kozy n’est qu’un doux euphémisme. Pourtant, la situation qui est nôtre est d’une telle gravité que notre propre existence se trouve être en jeu.

Sarkozy et les siens doivent en être conscients et opter pour une attitude qui soit à la hauteur de la situation.

Cela implique bien évidemment que les abertzale (patriotes bas- ques) soient aussi en capacité d’être à la hauteur, d’être des ac- teurs responsables des combats à venir. L’élection législative sera pour nous l’occasion de démontrer aux gens de notre pays, mais aussi aux observateurs et aux décideurs, la légitimité de notre projet politique. Il nous faudra convaincre pour vaincre.

Les errements du passé, les pratiques déloyales, les usages incom- patibles avec le respect dû aux partenaires, tout cela doit être dé- finitivement rejeté. Il en va de notre crédibilité et de nos résultats à venir.

Autre élément à prendre en considération, et qui n’est pas des moindres. Ces dernières semaines ont été marquées par le retour des actions de destruction ou tentatives de destructions de biens immobiliers. Les loups ont hurlé sans tarder, dénonçant ces prati- ques. Mais ne nous y trompons pas. Si, certes, l’Etat français et ses relais locaux, sont bien les premiers responsables de la situation qui engendre ces actes de résistance, il n’en demeure pas moins que l’inefficacité et l’attitude trop souvent irresponsable des forces abertzale en Pays basque nord nourrissent aussi l’impression que rien ou si peu est fait pour enrayer l’inexorable chute d’Iparralde dans le néant. Un néant qui équivaut à notre disparition pure et simple. Ces actions sont aussi un rappel à notre responsabilité, à nos devoirs.

EKAITZA

FRANCAIS PAR DEFAUT

L’heure apéritive est parfois propice à la réflexion citoyenne, sur- tout a posteriori. Et encore davantage les jours d’élection présiden- tielle. Là, tout à l’heure, je suis allé voter, c’est quasiment un aveu. Aveu d’inhibition, l’esprit pas vraiment purgé de cette rancœur dé- mocratique que je ne parviens pas à expliquer (et encore moins à partager). Mon devoir bâclé, en passant devant Le Balto, je ne sais pas pourquoi, ce n’est pas, ce n’est plus depuis longtemps dans mes habitudes, j’ai eu envie d’entrer, de pousser cette porte vitrée, de franchir le Rubicon qui me sépare des rubiconds. Le pire étant accompli, je suis entru, je me suis assu au comptoir  et j’ai com- mandu, un demi. C’est ma tournée, qu’il a dit le type rougeaud derrière le distributeur de cacahuètes. Il y avait deux autres types avec lui, moins rougeauds mais plus âgés, peut-être. Ils arrosaient les élections certainement, que je me suis dit et que je leur ai de- mandé. Ben non, c’est ma fête, qu’il a répliqué l’empourpré défi- nitif, esquissant un sourire. Alors j’ai esquissé aussi, ses copains ont franchement rigolé et on a trinqué à la santé de tous les Prudence, qui est un prénom masculin insuffisamment populaire de nos jours.

C’est la patronne qui a relancé avec son sondage «sortie des urnes». Vous avez voté pour qui, qu’elle m’a demandé, vous avez l’air d’un royaliste vous, je vous vois souvent entrer à l’Atalante. Les types du comptoir se sont marrés à l’unanimité sauf une voix, l’érubescent majeur. Non, moi je suis plébéien, que je lui ai répondu du tac-au-tac, et les aristos je les suspends à la lanterne sans sommation, que je lui précise dans un éclat de rire de circons- tance, prenant carrément la cantonade à témoin. Flop. Tous les yeux se sont agrandis, les rictus se sont fermés et les bouches sont demeurées muettes, sauf celle du cramoisi qui, lui tout sourire maintenant, s’est proclamé fier d’être gascon et de gauche. Grosse poilade communicative, les apéros du Balto sont connus pour ça. Robert est un pince-sans-rire, c’est Josette, la patronne, qui me le confirme en remettant sa tournée. Et moi de m’excuser, un bock ça ira, ma compagne m’attend pour manger, merci… en fait je suis allé voter pour un ami… il est en vacances, en voyage, au soleil, il en a de la chance, lui… je suis allé voter à la Mairie, pour lui, alors que moi, normalement, je vote là juste à côté, à Jules Ferry… il m’a donné sa procuration… tout le bistrot fait silence dans l’attente de ma révélation, comme si l’avenir du quartier St Esprit en dépen- dait… j’ai mis mon bulletin… euh, son bulletin Ségolène Royal dans l’urne… pour mon ami… pas très original, plein de gens ont sûre- ment fait la même cause… euh, la même chose, que je me mets à bafouiller, peut-être même que ce sera ma voix, enfin plutôt sa voix qui fera basculer le scrutin… peut-être… les rires reprennent mais là je ne sais plus du tout pour quoi. Il y a tant de raisons au cynisme !

Josette calme tout à coup les sarcasmes, pour ne pas dire pire, en se vantant d’avoir voté Sarko. Les trois trinqueurs ânonnent leur réprobation, entonnent un pot-pourri de Marseillaise, d’Interna- tionale et d’hymne de la Peña Baiona, s’essoufflent, régurgitent, boivent un coup, allument des clopes, marmonnent un reste de ressentiment ponctuel, et puis déconnent à nouveau, comme si l’avenir de leurs enfants en dépendait. C’est la vie, que je me dis… Et les heures supplémentaires, hein, c’est plutôt bien de vouloir les encourager, non ? Les gens, les salariés ont besoin de fric, c’est normal que ceux qui veulent travailler gagnent mieux leur vie que les fainéants ! Josette martèle là toute sa détermination sociale en escomptant un KO debout. Plus personne ne rit, les verres se vi- dent d’un trait. La boulangerie en face va fermer. Le bureau de ta- bac aussi. Les urgences sont ailleurs, dorénavant. Robert complè- tement congestionné semble pourtant seul apte à relever le défi de la gargotière. Il s’esclaffe désormais sans écho, comme au milieu d’un champ de bataille déserté. Il factionne la vieille garde ouvrière tout seul face au grand patronat coalisé derrière ses pompes à bière. Tout ça c’est des foutaises, qu’il rameute en vain, notre rouget des îles. Des heures supplémenteurs, oui, c’est ça qu’il veut ton Sarko. Du travail sans cotisation sociale et sans déclaration sur le revenu, c’est du black. Tes heures supplémentaires, c’est du black, voilà, de l’économie parallèle, du marché noir, du foutoir organisé. En plus, comme rien n’est déclaré, tu pourras enfler ton marmiton jusque profond en lui faisant faire soixante heures par semaine payées quarante. Et il pourra que fermer sa gueule, le gueux. Ce qu’il fait déjà, d’ailleurs… Et que tu ferais mieux de faire aussi, Robert, et tout de suite encore, si tu tiens à conserver une ardoise ici.

L’uppercut a porté. Le menton du mentor révolutionnaire s’est af- faissé. Ses yeux se ferment sur une énième défaite. Le vieux coco sourit tristement, les bras ballants, les poings comme définiti- vement ouverts par l’impuissance et la peur. La face si vilement moins rouge, il a encore perdu la guerre à la première escar- mouche. Et moi je pleure de solidarité, solidarité de classe bien sûr. Je ne sais que l’inviter discrètement à se réfugier avec moi à une table, pour continuer à se fêter Prudence… Je m’appelle Robert, Robert Ricau et j’ai bien peur que ça sera pas ma fête aujourd’hui. La prudence est responsable de toutes nos démissions, disait monsieur Hontas, et moi je n’ai jamais rien compris aux dictons.

Je suis basque et de gauche, que je lui ai confessé, au Robert, benoîtement, une petite heure et pas mal de bocks plus tard. Ses yeux albinos ont cligné : un coup, j’te vois, un coup, je veux plus te voir. Moi je le fixais, espérant je ne sais plus quel sursaut de fierté de sa part. Il a jeté un œil à l’écran plasma au fond du bar, illu- soirement, sans réussir à le casser. Et puis, un bref instant, il s’est aventuré à soutenir mon regard, avec comme du vide dans le sien. Indéfinissable aspiration, inspiration, respiration. Je suis de gauche comme toi, camarade, commu- niste et un peu libertaire même. Et basque… La mèche a pris. Il s’est gratté la gorge du temps qu’elle se consume jusqu’au baril de tous le excès, et il m’a intimé l’ordre de me taire, comme si sa vie en dépendait. Alors ça veut dire que toi t’as pas voté, hein, parce que tu te sens pas concerné, c’est ça ? Ouais, t’es pas français, c’est pas ta merde, qu’il s’est énervé le Bébert, tandis que le comptoir philosophait désormais à propos des matchs de foot de la soirée. Les Basques, ils sont tous de droite, tout le monde le sait, me raconte pas des conneries… ou alors ils posent des bombes et ne votent pas ! Moi je dis que ça revient au même que s’ils votaient Le Pen, tous les Basques, abertzale, enbata et companie. Tous des fachos !…

Oh-oh ! tu exagères, mais peut-être que finalement t’as raison, que j’ai quasiment acquiescé. Des fachos, des réacs, des collabos, y’en a beaucoup au Pays basque… Mais je suis pas sûr qu’ils sont tous basques. Je suis même convaincu qu’il y en a un régiment chez les anti, chez les anti-basques… Les fachos anti-basques assassins qui ont soutenu le GAL par exemple… Tu te souviens du GAL ?… On pourrait s’imaginer qu’à ce stade, je suis en train de hurler, que je fais des moulinets menaçants avec mes poings fermés. Pas du tout. Je suis plus calme que je ne l’ai jamais été. Moi je chuchote, et lui il marmonne maintenant son reste de colère dans son verre. Combien un chuchotement déterminé peut forcer l’attention et donc le respect, c’est vraiment édifiant ! Tu vois Robert, en fait, basque, ça n’existe pas en vrai. Ce n’est pas une nationalité. Pas une nationalité reconnue, je veux dire. Un peu comme la Gasconnie, la Basconnie n’existe pas. Alors, les Bascons, ils sont, nous sommes comme des cons. Sans pays à nous avec des vrais morceaux d’urnes dedans et des bulletins de vote marqués «République basconne», ça rime à rien de se dire basque puis- qu’on ne peut même pas le prouver.

Y’a pas de carte d’identité basque ! Pas de vraie, je veux dire, pas de papiers d’identité nationale basque validés par l’ONU. Ni le Petit Robert, croit-il bon de souligner… et c’est bien dommage pour toi, mais je ne me laisse pas distraire. Par contre, j’ai une carte d’identité française en bonne et due forme avec la carte d’électeur qui va bien. Tiens regarde, il y a même le tampon à date qui prouve que j’ai bien voté aujourd’hui… et le 22 avril aussi. Non ! qu’il s’exclame, subjugué. Ben oui, mon poteau rose, je suis citoyen français. Tout comme toi, autant que toi, ni plus ni moins, pareil. Liberté, égalité, fraternité, on est tous égaux et frères en république et libre aussi, en théorie. Mais je suis seulement libre d’être français, une liberté que je n’ai pas choisie mais dont je veux tout de même jouir, y compris par mon droit de vote… tout du moins tant que je n’aurai pas d’ autre choix. Ouais, le beurre et l’argent du beurre. Tu es basque en surplus, le basque c’est comme le breton, du facultatif en France…

Robert ne marmotte plus, il murmure pour ne se faire comprendre et bien comprendre que de moi seul. Je n’en reviens pas, un Gascon qui cite les Tri Yann, à sa sauce bien sûr, mais la référence y est, la découverte ou l’ignorance, la fin des années 70, il y a mille ans… Ouais, tout juste mon coco Ricau, si je suis basque c’est par choix, c’est mon choix et ça pourrait tout autant être le tien ou celui de quiconque voulant vivre en Pays basque. Un choix individuel, personnel. Il suffira qu’un jour plus personne ne fasse ce choix d’être basque pour que le Pays basque n’existe plus, c’est le pari des anti-basques. Pas le mien, je n’ai rien contre les Basques, qu’il m’affirme, solidaire et toujours sur le ton susurré de la conviction, mon Bébert Ier de St Esprit.  Je te crois, camarade gascon, d’ail- leurs, ce choix, c’est en le collectivisant qu’on sauvera peut-être la basquitude et les Basques. L’autodétermination, c’est ça qu’il nous faut, aux basques et aux gascons de St Esprit. L’autodétermination et l’autonomie…

On a arrosé ça, encore et encore, nous les Français par défaut, en attendant les résultats. Pour finir de noyer la Prudence et notre peur des lendemains sarkoziens, on s’est fait mettre à la porte du Balto. Sur le gris boulevard qui mène de la gare à la prison, on a déambulé.

Le plébéien bleu

PS. Je n’ai évidemment pas avoué à Robert que, ce dimanche, pour la première fois de ma vie, et pour une élection présidentielle… j’ai voté François Mitterrand. Ne me félicitez pas, j’ai perdu !

DIVISER POUR REGNER …

éditorial d’Ekaitza n° 1075

Le jeudi 26 avril, le cinéma l’Atalante nous offrait la diffusion du film Les LIP, l’imagination au pouvoir. Merveilleux film faisant le récit de cette grève emblématique du début des années 70 que menèrent les 1000 ouvrier(e)s de l’usine LIP de Besançon. LIP, une lutte au- tour du slogan : «C’est possible : on fabrique, on vend, on se paie». Un slogan devenu réalité pour des hommes et des femmes qui n’avaient pour armes que la détermination, un esprit de solidarité et un incroyable désir de dignité.

Par delà les logiques syndicales, le principe de démocratie directe s’exerça, faisant de chaque ouvrier gréviste un acteur indispensa- ble à la réussite de cet élan populaire exemplaire.

L’union des travailleurs avait fait plier le patronat, avait imposé une inversion de logique sociale, démontrant magistralement que si le patron a besoin de la force des travailleurs, les travailleurs, eux, n’ont pas besoin du patron pour faire tourner les machines, fabri- quer et vendre le produit de leur travail.

C’est pourquoi, après des mois de mobilisation et de lutte, le temps de la négociation venue, la première initiative du gouvernement fût d’envoyer un émissaire dont le premier acte fut d’annoncer qu’il recevrait les syndicats, les uns après les autres. Mettant ainsi en application l’éternel adage du «diviser pour régner». Une annonce qui souleva l’immédiate et légitime colère des ouvrier-e-s en lutte.

Ce jeudi 26 avril, la salle de l’Atalante était pleine. Toute la diver- sité syndicale locale était là, représentée. Partageant ce beau mo- ment de témoignage, d’un passé encore récent. Les LIP nous ont offert une leçon de dignité collective.

C’est durant la même semaine que nous avons appris que le syn- dicat LAB n’était pas invité à prendre la parole par les autres syn- dicats organisateurs de la traditionnelle manifestation du 1er Mai.

Il était reproché à LAB de ne pas condamner ETA.

Ainsi, la division syndicale aura une fois de plus marquée le 1er Mai en Iparralde (les 3 provinces basques sous juridiction française).

Ceux qui ont pris la responsabilité de cette désunion syndicale ne semblent pas être conscients ou sensibles à la phase historique dans laquelle nous nous trouvons. Un processus de Paix est enga- gé. Il nécessite les efforts de tous. Cela a été dit et redit. Et le mon- de syndical a le devoir de s’y impliquer, de favoriser l’émergence des conditions garantissant des lendemains de justice et de Paix sur le sol d’Euskal Herria (Pays basque, les 7 provinces). L’union des forces laborieuses et de ses représentant s’impose !

Tout aussi grave, nous sommes à quelques jours d’une échéance électorale majeure. Une échéance dont les conséquences risquent d’être dramatiques pour le monde ouvrier et pour les personnes les plus précarisées de notre société. En ces temps de grand péril so- cial, de risque de remise en question des derniers acquis sociaux encore en cours, une seule attitude s’imposait de la part des syn- dicats, de tous les syndicats ; l’union !

Cette union dont les LIP ont démontré comme étant l’absolue né- cessité pour faire barrage aux ambitions antisociales des déci- deurs, du patronat, et de toutes celles et ceux dont l’exploitation de l’Homme par l’Homme reste, encore et toujours, le détestable moteur de leur vie.

En ces temps difficiles, en ces temps où nous sommes tous appelés à prendre nos responsabilités, individuellement et collectivement, la mise à l’écart de LAB n’est pas que la marque d’un manque d’esprit visionnaire et responsable, elle est de fait une atteinte aux efforts accomplis dans la résolution du conflit en Euskal Herria, et un affaiblissement du camp des exploités.

EKAITZA

LE JOUR DE LA MATRIE

medium_AE_2007Mon premier Aberri Eguna, je l’ai célébré par surprise, disons. C’était en 1971, je pense, le jour de Pâques, évidemment. A St Jean de Luz. Je sortais de la grand-messe avec ma mère, lui tenant la main, bien sagement, comme un gentil petit garçon qui croit encore que le Monde est à sauver, quand soudain, la foule fit barrage entre mes rêveries rédemptionnelles et la pâtisserie Etchart, de l’autre côté de la rue Gambetta. Des femmes criaient, les bigotes ful- minaient, des hommes scandaient, les bigots fustigeaient tandis que deux drapeaux se défiaient en un singulier duel au milieu de la fumée des lacrymogènes. A l’instar de mon estomac, mon cœur empli des seules bonnes et belles intentions pascales devait très certainement battre la chamade tandis que maman me broyait le métacarpe pour m’arracher à ce spectacle d’apocalypse natio- naliste. Très certainement. Ma mémoire n’embellit rien, c’est à peine si je donne un peu de contraste à mes souvenirs d’enfant pour y découvrir les mots d’une genèse personnelle… Amatto ne pouvait décemment m’expliquer que des Basques se battaient contre des Français (c’était en fait plutôt le contraire, l’agresseur s’étant avéré être un ultra nationaliste français membre éminent du SAC, étendard sanglant levé à bouts de bras vengeurs, char- geant le groupe de patriotes basques afin d’abreuver les sillons sous les pavés à deux pas de la plage), tout en m’entraînant fermement vers le chemin salvateur de notre maison, elle prétendit, en guise de justification pour notre fuite (je n’aurais dû alors n’avoir aucune raison de douter de sa parole) que c’était des Espagnols (plus de 35 ans après, j’hésite encore à utiliser une majuscule) qui étaient venus tout exprès foutre la merde au Pays basque, en France, au Pays basque-français, quoi…

Seule une colère carrément biblique pouvait excuser chez ma mère l’utilisation d’un vocabulaire si sulfureux. Quoique très catholiques, dans notre famille nous succombions parfois à un ou autre péché capital, particulièrement les dimanches, Satan et Belzébuth en étant les exclusifs inspirateurs avec Lucifer, le démon spécialiste de l’orgueil. Ce jour-là, j’appris à maîtriser mes dons de Dieu pour ne pas fâcher davantage ma sainte génitrice. Ma colère à moi serait pour plus tard. Juste un peu plus tard. Je ne lui répliquai surtout pas que, si les manifestants brandissaient des drapeaux basques (j’ignorais encore son doux nom d’ikurriña), ils ne pouvaient être des espagnols (je craque, désolé)… et puis je ne lui avouai pas non plus que j’avais bien reconnu qu’ils s’exprimaient dans la même langue que quand elle s’engueulait avec papa (pour ne pas que je comprenne), la même langue basque que je chantais phonétiquement avec tant de cœur et de passion à l’église pa- roissiale. Moi je n’étais pas espagnol, je venais ainsi de prendre conscience de ma basquitude, malgré ma frustration de la langue ancestrale, comme les enbata zikiñak j’étais d’ici, de St Jean de Luz, du Pays basque, tout simplement, tout naturellement j’avais choisi ce jour-là le camp des différents, des minorisés, des vilipendés, j’avais choisi secrètement d’être Basque. Basque et c’est tout.

Mon deuxième Aberri Eguna, en fait, fut un acte manqué. C’était en 1978, l’année Orreaga… et je n’avais trouvé personne pour m’y accompagner. Aberri Eguna à La Rhune, pas à Orreaga. (Le rendez-vous de la célébration des 1200 ans de la bataille de Roncevaux serait pour le 15 août, et je le manquerais aussi.) Je dois reconnaître que cela aurait été pour le moins très compliqué et encore plus risqué pour moi que de participer à cette fête bucolique et revendicative, mythique mi-raison, de la Patrie, que dis-je, de la Matrie des Basques en ce jour de Pâques 1978. Déserter l’abri anti-atomique et la garde de ces majestueux bombardiers nuclé- aires Mirage IV, fleuron internationalement envié de l’aviation française, tourner le dos au Mur de Berlin, franchir nuitamment et furtivement ceux de ma caserne, traverser à pied et en stop (la Jument bleue n’était encore qu’une inaccessible étoile à deux roues dont je ne pouvais même pas rêver la selle) les Landes des Gas- cons hostiles, et surtout trouver des complices à mon évasion et enfin affronter le soi-disant pragmatisme maternel anti-espagnol : «Non maman, ton fils n’est ni français ni espagnol, il est Basque !… et il a accompli pitoyablement son service militaire pour l’Etat français.»

Mon troisième Aberri Eguna fut le premier auquel je participai en réalité. Politiquement un peu, physiquement beaucoup, spirituel- lement avec passion, et sentimentalement à la folie. C’était un an plus tard, en 1979, à Mauléon, en Soule, 7ème plus petite province de l’Euskadi d’alors, Pays de Cocagne pour les abertzale (pa- triotes), les purs, les socialistes et indépendantistes, les vrais, qui n’existerait évidemment que dans l’Askatasuna (Liberté) au son de l’hymne des combattants (eusko gudariak) entonné en canon par une joyeuse bande de copains, réunis à l’apéro du café de l’Europe, rue du Jeu de Paume. Et puis il y eut, pour moi et les miens, ceux de ma génération, de plus en plus nombreux, un quatrième, et un cinquième, et un sixième… et un dixième Aberri Eguna. Très vite. La jeunesse ne sait que s’enfuir… ou mourir assassinée. St Palais, Cambo, Biarritz, Hasparren, Ustaritz, Ascain, Itxassou… villes et villages qui s’égrainent sur ce si joli blog tout bleu de ma mémoire collectivisée, comme autant d’étapes d’un jour pour toujours à ma prise de conscience politique. Pour moi et pour des centaines de jeunes comme moi en Pays basque nord, l’Aberri Eguna a toujours été synonyme de «jour de lutte». Les bigotes et les bigots, toutes les bonnes âmes à tiroir caisse pouvaient bien nous traiter de «fouteurs de merde», et même bien pire, c’est nous qui avions raison. L’histoire finira bien un jour par le prouver… Ma mère ne m’emprisonnait plus la main ni la tête depuis bien longtemps, heureusement. Je pouvais réclamer partout l’indépendance d’une nation sans Etat, bouter tous les Gaulois en Gaule, me battre idéologiquement contre la France et l’Espagne coalisées, guerroyer à un contre vingt, alors que, instinctivement, déjà, je comprenais que nous avions seulement besoin d’une patrie à notre taille, une petite patrie pour les Basques. Nous nous entredéchirions juste pour lui inventer un nom qui sonne le glas du vieux monde et laisse toute la place nécessaire à l’épanouissement de nos petites différences. Il en faut des années pour apprendre l’autonomie et tous ses sacrifices ! A vingt ans, en y hurlant ma passion de la vie, j’ai sacrifié ma voix de stentor dans toutes les rues d’Iparralde, quitte à la mettre sans cesse en danger, la vie, ma vie, pas la passion, jamais la passion, jamais ma passion ne devrait s’apaiser. Même si les engagements, parfois, les luttes semblent s’essouffler, s’enrouer, s’étouffer presque au détour d’une énième défaite, d’un énième drame humain ou d’une énième désillusion, la passion rebondira parce qu’il ne peut en être autrement : Herriak bizi behar du, le pays, mon pays, mon peuple doit exister, et c’est tout.

 

 

Presque trois décennies plus tard, je ne tiens plus le compte des Aberri Eguna auxquels j’ai participé plus ou moins activement, ni de ceux que j’ai boycotté pour une raison ou pour une autre. Je ne veux pas parler ici des stratégies antagoniques et des désaccords plus ou moins fondamentaux. Je ne veux pas ressasser les vieilles rancoeurs encore vivaces. Je ne veux plus rester sur le bord de la route à regarder les «espagnols» se battre pour moi et pour ma liberté…

Peut-être ai-je enfin atteint l’âge de la véritable autonomie ?!

Mes parents sont morts tous les deux et le cordon ombilical aujourd’hui minéralisé. Des dizaines d’amis, de camarades, de compagnons, des centaines et des milliers de sans-noms ont été avalés mais la lutte pour la petite patrie maintiendra malgré tout le peuple basque en vie et je veux continuer d’en témoigner, sur ce blog et ailleurs. Ce dimanche encore, à l’Aberri Eguna, sur le pont Saint Jacques, c’était comme si j’avais pris rendez-vous avec l’histoire. J’ai frémi de bonheur et de passion en serrant la main de Mamour devant cet ikurriña géant. Un immense drapeau pour un tout petit pays. Un petit pays pour les Basques, un grand pas pour l’humanité… et c’est tout.

Le plébéien bleu